Ils se sont cachés dans un grand champ de blé...

Verse amoureuse...

Collection de variétés de blé montrant différentes hauteurs des pailles.  © Philippe Roux, Gnis.
Ami mélomane, tu auras reconnu un extrait de la célèbre ballade ''Un beau roman'' de Pierre Delanoë et Michel Fugain (1972) :   C'est un beau roman, c'est une belle histoire, C'est une romance d'aujourd'hui [...] Ils se sont cachés dans un grand champ de blé Se laissant porter par les courants Se sont raconté leurs vies qui commençaient Ils n'étaient encore que des enfants, des enfants [...] Un champ de blé, c'est vaste, certes. Mais peut-on vraiment s'y cacher ? Autrement dit, les plantes sont-elles suffisamment hautes pour qu'un individu s'y dissimule sans peine ?

Une clé de voûte de l'alimentation

Cette question, à l'apparence légère, cache un important progrès en matière de sécurité alimentaire. D'une part, parce que le blé est l'une des céréales les plus consommées au monde. Toute amélioration de sa qualité a donc eu un impact planétaire. Et d'autre part, parce que la compréhension, puis la réduction de la taille de ses tiges a été un facteur clé dans la régularisation des rendements, donc dans la lutte contre les famines.

Petites et résistantes

Le développement de la culture du blé à grain nu (froment) remonte au XIème siècle environ, période à partir de laquelle il a supplanté l'épeautre. Les variétés ont peu évolué jusqu'au milieu du XIXème siècle. Et parmi les problèmes qui se posaient à l'époque, la verse des blés etait un véritable fléau. Il n'était pas rare en effet de rencontrer un champ dont les plantes s'étaient couchées au sol rendant la récolte des grains difficile et de moindre qualité. Cette fragilité était en partie liée à la grande taille des tiges, très exposées aux intempéries. Voici ce que l'on peut lire sous la plume de Henry de Vilmorin, dont les travaux et l'esprit scientifique font encore référence aujourd'hui : ''Enfin nous arrivons à l'un des plus grands fléaux des blés, qu'on peut regarder comme un accident plutôt que comme une maladie: nous voulons parler de la verse, si funeste partout, mais surtout redoutable dans les terres fertiles et bien cultivées [...] Bien plus sérieux sont les effets de la verse quand elle est occasionnée par de grandes pluies ou des vents violents survenant vers le moment de la floraison ou peu après. Des champs entiers sont alors renversés; les tiges, vertes et tendres, encore sont couchées les unes sur les autres et parfois pourrissent ou sont recouvertes par les mauvaises herbes, qui anéantissent presque tout espoir de récolte.'' (Les meilleurs blés. Henry de Vilmorin, 1880) Il fallut attendre le début des années 1970 pour voir apparaître les premières variétés de blé dotées de tiges beaucoup plus courtes. Cette caractéristique fut obtenue grâce aux croisements entre des variétés européennes (et notamment françaises) et des variétés provenant d'Italie et d'Extrême-Orient qui comportaient, dans leurs patrimoine génétique, un gène de ''nanisme'' (Doré, Varoquaux, Histoire de l'amélioration de 50 plantes cultivées, 2006). Un travail qui prend aujourd'hui toute sa signification dans un contexte d'explosion démographique et de limitation de l'espace dédié aux terres cultivées.

la paille, une affaire de taille

Aujourd'hui, entre 60% et 75% des variétés inscrites au catalogue officiel français possèdent au moins un gène de nanisme. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Les pailles, dont l'intérêt avait progressivement disparu du fait de leur moindre utilisation dans les élevages, peuvent retrouver une voie de valorisation avec le développement des biocarburants. Certains semenciers travaillent à nouveau à l'allongement des tiges. Les blés de l'avenir pourraient ainsi nous être doublement utiles : pour la farine et comme ressource énergétique. De quoi réjouir nos deux tourtereaux qui pourront alors se livrer sans complexe à leur verse amoureuse...
Difficile de s'en rendre compte, et pourtant plus de 350 variétés différentes de blé sont aujourd'hui cultivées en France (363 en 2008). Il y a d'abord le blé tendre, qui sert à fabriquer le pain, les biscuits, ou les viennoiseries. En fonction de l'utilisation que l'on veut en faire, les variétés de blé tendre ont chacune leurs qualités. Les agriculteurs français ont le choix entre plus de 300 variétés différentes. Le blé dur, lui, sert à faire les pâtes ou encore la semoule. Il en existe près de 50 variétés. Les agriculteurs choisissent leur variété en fonction de leurs conditions de culture (sol, climat, latitude, résistance à certaines maladies) et des débouchés.
Il y a 8 à 10.000 ans, au Néolithique, un croisement naturel a eu lieu entre deux espèces proches : un blé dur et une Aegilops. Ce croisement est à l'origine du blé tendre. Par la suite, le blé tendre a fait l'objet de milliers de travaux de sélection. Récemment, le développement des cultures de blé d'hiver a favorisé l'extension du piétin-verse. Cette maladie grave attaque les tiges et provoque la verse des plantes qui ne peuvent plus tenir debout. Cela nuit bien entendu fortement au rendement obtenu. C'est dans des lignées d'Aegilops que les sélectionneurs ont pu trouver la résistance au piétin-verse qui faisait défaut au blé tendre. Ils ont alors réintroduit un fragment de chromosome d'Aegilops dans des variétés de blé tendre pour les rendre résistantes.
L'épeautre a longtemps été la forme de blé la plus cultivée dans le nord de l'Europe. De 2 000 ans av. J.C. jusqu'au début du XIème siècle environ. Mais ses épis, qui étaient vêtus, occupaient beaucoup de place dans la charrette des paysans. Aussi, lorsque le blé à grain nu apparu, il rencontra rapidement un vif succès auprès des paysans qui pouvaient en transporter plus dans la charrette.
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