Les graines, des « Belles au bois dormant »

Les graines permettent la reproduction, la dissémination et la conservation des plantes. Grâce à la « dormance », un état de vie ralentie, elles survivent pendant les périodes les plus défavorables. Les chercheurs tentent de comprendre ce phénomène, essentiel pour l’adaptation au changement climatique.

Germination de la graine après une période de dormance. © iStock - Allexxandar

La dormance joue un rôle crucial non seulement pour assurer la survie des plantes pendant l'hiver, mais aussi pour éviter une germination simultanée avec d'autres espèces concurrentes, avec lesquelles elles lutteraient pour la lumière, l’eau et les nutriments.
Mais qu'est-ce qui active cette dormance ? Comment expliquer que les graines semblent « endormies », à l'image de la « Belle au bois dormant » ?

La plante se prépare à l’hiver

L'entrée en dormance des graines commence dès la phase de maturation, alors qu'elles sont encore sur l'épi pour les céréales. Ce processus est déclenché par des facteurs environnementaux, tels que la baisse des températures, la réduction de la durée du jour ou le manque d'eau. L'acide abscissique, une hormone végétale, joue un rôle clé dans ce phénomène en déshydratant les tissus de la graine tout en évitant leur détérioration. Ce mécanisme, associé à l'imperméabilisation des enveloppes de la graine à l'eau et à l'oxygène, empêche ainsi la germination prématurée.

Un ralentissement accéléré pour économiser l'énergie

Durant la dormance, la graine réduit considérablement son métabolisme, un processus coûteux en énergie. La synthèse des protéines ralentit et la graine maintient son état « endormi » en consommant le strict minimum de ses réserves nutritives. En même temps, elle se protège de l’oxydation et d’autres dégradations tissulaires. Cependant, bien que ce processus soit observé depuis longtemps, il reste encore de nombreux aspects à élucider, notamment les ajustements métaboliques complexes liés à l'expression des gènes.

L'héritage maternel

Par exemple, plus la température est basse, plus le niveau de dormance est élevé. Des chercheurs ont démontré, en 2016 seulement, que la profondeur du sommeil des graines était en grande partie héritée de la plante mère. Ce phénomène est gouverné par un gène régulateur appelé allantoïnase (ALN). C’est l’allèle maternel (c’est-à-dire la copie du gène hérité de la mère) qui s’exprime principalement, au détriment de l’allèle paternel. Les chercheurs ont aussi découvert que, lorsque les températures sont particulièrement basses lors du développement de la graine, les deux allèles du gène ALN sont fortement réprimés.

La mémoire des stress et des saisons

Les graines ne se contentent pas de rester en dormance ; elles accumulent une véritable mémoire des conditions environnementales qu'elles traversent, notamment en ce qui concerne le froid. C'est ce qu'on appelle la mémoire épigénétique.
Lorsqu'une période favorable est détectée, comme une augmentation prolongée des températures, la graine efface progressivement cette mémoire des stress passés, et la germination peut alors avoir lieu, en utilisant les dernières ressources énergétiques accumulées.

Un enjeu crucial pour l’agriculture

La capacité des graines à se souvenir des saisons et des stress environnementaux ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche agricole, notamment dans le contexte du changement climatique. Les périodes de sécheresse, de chaleur extrême, de gel ou d'inondation, de plus en plus fréquentes, affectent directement la capacité des plantes à germer et à se développer. Comprendre les mécanismes moléculaires sous-jacents à la dormance est donc crucial pour l'agriculture. 
Enfin, une bonne synchronisation de la germination après dormance est essentielle pour garantir des récoltes optimales. Les chercheurs commencent à développer des techniques pour stimuler la germination, même après de longues périodes de dormance. Des méthodes comme des traitements hydriques, mécaniques ou lumineux sont étudiées pour « réveiller » les graines et favoriser leur germination au moment le plus favorable.

Les semences : un patrimoine génétique et environnemental

Les semences, en tant qu’organes de reproduction, de dissémination et de survie des espèces végétales, sont au cœur des enjeux agricoles contemporains. Les avancées dans la compréhension de la dormance et des mécanismes de mémoire des graines permettront de mettre au point des semences plus performantes, capables de s’adapter aux défis climatiques des années à venir.
Marie Rigouzzo

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