Les plantes ouvrent un nouvel horizon pour les vaccins

A l’heure où la course à la vaccination contre la Covid-19 occupe tous les esprits, les « plantes à vaccins » sont sous les feux de la rampe. Par quel procédé magique un végétal est-il capable de produire un vaccin humain ? Les recherches ont été longues, mais ce pourrait être une révolution scientifique et médicale majeure.

Plantes à vaccins © Shutterstock

Et si la plante de tabac était utilisée pour fabriquer des vaccins humains ? Voilà le tabac qui deviendrait bénéfique à la santé ! Ce n’est pas le scénario d’un prochain film de science-fiction, c’est la réalité. Plusieurs sociétés de biotechnologies travaillent dans cette voie.  
Depuis le premier vaccin contre la variole, en 1798, la première catégorie de vaccins dits « vivants atténués » fait appel à un même principe : stimuler les défenses immunitaires, par la production d’anticorps, contre un agent infectieux, en introduisant dans l'organisme des virus atténués ou bactéries inertes. L’autre catégorie est constituée de vaccins dits « inactivés », car ils contiennent des agents infectieux qui ont été tués grâce à un produit chimique ou par la chaleur. La nouvelle génération de vaccins vivants dits « recombinants » utilise les techniques de recombinaison génétique, qui permettent d’inactiver, ou d’éliminer, ces  mauvais gènes responsables de la maladie à éradiquer. Les bactéries ou virus obtenus par voie génétique ne sont finalement pas très différents des vaccins vivants classiquement atténués. Mais ils présentent deux avantages majeurs : ils sont moins chers à produire, et plus sûrs, car le risque qu’ils redeviennent virulents est supprimé. Tout récemment, pour lutter contre la Covid-19, on a réussi à mettre en application le principe des vaccins à ARN messager. Ici, entre en jeu un fragment du matériel génétique du microbe, qui sera encapsulé dans des nanoparticules à base de lipides. Le concept n’est pas nouveau, la découverte revient à l’Institut Pasteur en 1961 ! L’exploit, c’est d’avoir réussi la fabrication du vaccin en si peu de temps.   

Des plantes-usines, de véritables bioréacteurs

Le procédé encore plus innovant consiste à se servir des plantes comme des « usines à vaccins ». L’espèce expérimentale qui a été retenue est celle la plus utilisée en virologie végétale : Nicotiana benthamiana, proche du tabac. Là, on n’utilise pas de virus vivants, mais un code génétique, ou un fragment d’ADN, que l’on introduit dans les plantes, pour qu’elles le multiplient. A ce jour, deux sociétés sont bien avancées dans leurs recherches : la société canadienne Medicago et la biotech américaine Kentucky BioProcessing, filiale du cigarettier britannique British American Tobacco. Jusqu’à maintenant, les projets de vaccins contre la grippe ou contre le virus Ebola étaient restés au stade expérimental. Mais des résultats concluants devraient être annoncés prochainement. Nul doute que les essais cliniques des vaccins contre la Covid-19 sont attendus avec impatience.

Comment fonctionnent ces plantes-usines ? Pour l’introduction du fragment d’ADN, on utilise un vecteur : c’est une bactérie du sol, Agrobacterium tumefaciens, responsable de la galle du collet (nodosités au niveau du collet ou des racines). Par cette lésion, la bactérie entre en contact avec une cellule végétale et lui injecte une partie de son ADN. Il faut préciser que cet ADN transféré ne s’intègre pas à l’ADN de la plante, mais il va être transcrit, par une sorte d’expression transitoire. On ne peut donc pas parler de plantes transgéniques. Ce transfert va forcer la plante à produire des particules pseudo-virales (PPV), qui ressemblent à des virus, mais qui ne sont pas infectieuses, et peuvent donc être utilisées pour la vaccination humaine. 

Des délais raccourcis

Après injection du vecteur bactérien dans les plantes, il suffit de 4 ou 5 jours pour que les plantes activent complètement leur machinerie sophistiquée. Les feuilles sont ensuite broyées, mélangées à une solution de purification qui permet d’en extraire les particules pseudo-virales. Celles-ci sont alors isolées, stérilisées et chimiquement assemblées pour former la base précieuse du vaccin. Comparé au système de vaccins traditionnels, produits le plus souvent sur des cellules vivantes d'œufs fécondés, d'embryons de poulets ou sur des cultures de levures, ce procédé innovant a l’avantage d’être simple et rapide à mettre en œuvre. Ce court délai constitue un avantage plus que primordial car la vaccination est toujours une course contre la montre. Par exemple, dans le cas de la grippe saisonnière, étant donné le laps de temps de fabrication, la souche qui circule peut avoir muté et n’être plus celle contre laquelle le vaccin protège.
Plus que jamais, la recherche vaccinale est porteuse de grands espoirs. Non seulement, il est urgent de trouver une parade efficace à ces nombreuses maladies contagieuses, comme le Sida, le Sras, Ebola... qui continuent à se propager faute de vaccin. Et aussi parce que les vaccins thérapeutiques, notamment contre le cancer, pourraient révolutionner le monde médical du 21e siècle. 
Laure Gry

La société Plant Advanced Technologies (PAT) a été créée en juin 2005, à Nancy,  pour exploiter une technologie de l’Inrae et de l’Université de Lorraine : le procédé « plantes à traire ». Ce concept a fait l’objet d’un brevet. Il consiste à produire à l'échelle industrielle des molécules d'origine végétale extrêmement rares, mais très utiles pour leurs propriétés médicinales et cosmétiques.  
Pour l’extraction, ce sont les racines qui sont sollicitées. L’objectif a été de mettre en place des stratégies de stimulation sur une plante saine, de façon à obtenir, via son système racinaire, des substances présentes normalement à l'état de traces, qui ne s'expriment d'ordinaire qu'en cas d'agression. Les plantes sont cultivées sous serre en hors-sol, les racines pendent sous les pots à l'air libre. En plongeant ces racines à intervalles réguliers, environ tous les mois, dans une solution particulière, on récupère ces précieuses molécules, un peu comme on trait une vache. Le bain est élaboré sur mesure, en fonction de chaque espèce. Il peut avoir notamment pour effet de simuler des attaques d’insectes ou de champignons. Résultat : les plantes produisent naturellement leurs propres « anticorps ».
Le premier succès a été la mise au point de biomolécules pour un soin anti-âge de Chanel. Plusieurs projets de recherche visent des molécules anti-cancéreuses, anti-inflammatoires… En agronomie, un partenariat a été signé avec la firme BASF pour la mise au point de biopesticides.
 

La biotech Medicago, basée à Quebec, travaille depuis plus de vingt ans sur les plantes-usines à protéines, pour la production de traitements médicaux ou de vaccins. Son nom Medicago vient du fait que la société a commencé par se servir de la luzerne (nom latin Medicago) comme support de production. C’est maintenant l’espèce parente du tabac, Nicotiana benthamiana, qui est la plus utilisée en virologie végétale. En 2019, la technologie des plantes-usines, brevetée sous le nom de Proficia®, a été récompensée du prix « Meilleure technologie/plateforme de vaccin ».

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