La Nature sublimée, une nouvelle urbanité

Transformer les espaces verts en lieux de vie bienveillants, ancrés dans les identités culturelles régionales, pourrait bien conquérir les villes de France. Une autre voie se fraye un chemin entre herbes folles et jardin discipliné, sans tenir compte des spécificités locales.   

Carrefour Sarrazine, Antibes ©Philippe Dalmasso/Ville d'Antibes

Avec le concept de « Nature sublimée », mis en œuvre par la ville d’Antibes Juan-les-Pins, dans les Alpes-Maritimes, une nouvelle urbanité se dessine. Portée par Philippe Dalmasso, son concepteur, avec Didier Vidal, de la ville de Marseille, cette nouvelle approche du jardin développe, pour chaque site, une identité paysagère propre, ancrée dans la culture régionale. La palette végétale est savamment composée pour se rapprocher d'un écosystème s’autogérant le plus possible. La notion de durabilité prend ainsi tout son sens avec des espèces choisies en fonction du site, de sa surface, de son exposition, de son sol et de son usage attendu. Dans ces jardins, toutes les formes de vies naturelles ont leur place, sans pour autant y imposer une nature sauvage. Une charte sur le jardin en région méditerranéenne formalise d’ailleurs la démarche afin d’en diffuser la pratique auprès des collectivités.

Retour en Grasse

Deux aménagements réalisés à Antibes illustrent ce travail impliquant tous les professionnels du végétal. Concepteurs, jardiniers, pépiniéristes et producteurs de plantes locales construisent ainsi un espace urbain apaisé. Ces réalisations proposent des parcours sensibles.

Le nouvel aménagement pour le bus tram, entre la gare d’Antibes et Sophia Antipolis, emprunte la route de Grasse, un axe routier structurant de la ville à la circulation dense et aux constructions commerciales peu esthétiques. Sa transformation, conçue par Philippe Dalmasso, commence au carrefour Sarrazine. La colline de Rabiac assure une continuité paysagère naturelle qui, grâce à son aspect général, avec les restanques, les oliviers et les cyprès, rappelle le paysage grassois. Devenu accueillant pour les piétons, le parcours ponctué de roses égaye la marche et crée un lien entre les deux villes : Antibes, berceau du producteur et obtenteur des Roses Meilland, et Grasse, avec la rose Centifolia, utilisée pour les parfums. Un rosier local bien adapté à l'été sec méditerranéen y a d’ailleurs été planté, la rose ancienne ‘Général Schablikine de Nabonnand’. Plaisant toute l’année grâce à l’étalement des floraisons, le jardin  est composé de différentes espèces et variétés de plantes formant un espace naturel dans un mélange de graminées, de marguerites et de lavandes des Canaries, lilas de Californie, pavots arborescents (Romneya coulteri), Tulbaghia, agapanthes, iris ou encore gauras qui évoquent ici les jasmins odorants des parfums de Grasse.

Une place dédiée à la joie de vivre

Il ne faut alors au promeneur antibois qu’un saut imaginaire pour descendre vers la mer, retrouver les agapanthes blanches et les pavots arborescents dans la Pinède Gould réhabilitée de Juan-les-Pins. À l’époque de son classement en 1912 comme site remarquable, elle avait un aspect naturel avec des pins situés sur des dunes de sables en bord de mer. Morcelée et urbanisée au fil des ans, elle était devenue très horticole avec du gazon.

En 2020 et 2021, la municipalité a réalisé un projet novateur qui réconcilie un parc paysager d’aspect naturel avec les usages urbains très proches. Conçu par Philippe Dalmasso, il se veut jardin méditerranéen fleuri, joyeux et bienveillant. Adapté au climat, le lieu vit tout seul en respectant la faune et la flore, et reconnecte la ville à la mer par des chemins de sable originel bordés de ganivelles. La plantation d’une végétation dense mais basse protège les pins, eux-mêmes protecteurs d’une nature foisonnante et accueillante. Cet embellissement, pensé pour créer une ambiance apaisante, utilise les couleurs à la manière des peintres fauvistes. D'ailleurs, le tableau de Matisse La joie de vivre a inspiré la création de la place éponyme de la Pinède et sa ronde colorée de danseurs, en lien avec le thème « Jardins d’artistes » du Festival des jardins de la Côte d’Azur 2021. Une belle promesse de bonheur face à la mer !

Isabelle Cordier

En pays grassois, la grande tradition des cultures de plantes à parfums se perpétue. Des champs de fleurs de roses de mai (Rosa centifolia), de jasmins, de tubéreuses simples ou encore les rhizomes d’iris de Florence (Iris pallida) y sont cultivés pour être transformés sur place. Chaque cueillette d’une espèce est traitée dans des extracteurs. Après injection d’un solvant puis trempage, on extrait la « concrète » (cire végétale) par procédé de chauffage aux fins de conservation. Portée à ébullition puis doucement refroidie, elle sera ensuite distillée en huile essentielle (absolu), et produira les différentes matières premières destinées aux parfumeurs. La rose de mai nécessite 400 kg de fleurs pour en faire un de concrète puis 600 gr d’absolu. Cependant, c’est le jasmin de Grasse, réputé pour son parfum à nul autre pareil, qui fait la différence dans les compositions des grandes maisons de parfums. Ses fleurs s’enrichissent en indole [1] sous l’effet de la chaleur, ce qui leur confère une note animale très forte. Leur bouquet olfactif si particulier est le résultat du terroir et du microclimat de Grasse.

[1] L’indole est un composé organique aromatique que l’on retrouve dans la formule de nombreux parfums, principalement floraux.

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