L'IA, un accélérateur dans la sélection de nouvelles variétés

De la sélection à la conduite culturale en passant par la production, la filière semencière recourt, elle aussi, à l’intelligence artificielle (IA). Loin d’être un concept futuriste, cette technologie s’avère déjà bien installée dans les pratiques des sélectionneurs. Et pour cause, elle offre de sérieux atouts, notamment en termes de gain de temps.

L'intelligence artificielle a été peu à peu intégrée dans les différentes étapes de la création d'une variété. © SEMAE - Sebastien Champion

Depuis quelques mois, l’intelligence artificielle fait beaucoup parler d’elle. Son champ d’application semble infini et concerne désormais tous les domaines d’activité. Bien évidemment, le monde de la semence n’échappe pas à la règle. « Mais ce phénomène n’est pas nouveau, rappelle Pauline Bansept Basler, responsable du projet de sélection blé hybride Europe chez Bayer Seeds, à l’occasion d’une table ronde organisée sur le sujet au salon de l’agriculture en février dernier. Cela fait presque 10 ans que, petit à petit, nous intégrons de l’IA dans les différentes étapes de sélection. Mais il est vrai que depuis cinq ans, une vraie accélération s’est opérée. Grâce à l’IA, nous sommes passés au stade de la sélection de précision. » Et Séverine Jeanneau, responsable filières et développement durable semences et santé végétale chez Corteva Agrisciences de préciser : « L’IA reste une technologie d’accompagnement qui, en aucun cas, ne peut se substituer à l’activité humaine. Au contraire, elle doit être encadrée par l’expertise humaine et alimentée par des données de qualité. Sans cela, impossible de développer des modèles robustes. »

Repérer les lignées les plus pertinentes

Lors de croisements « classiques », les sélectionneurs ont, en moyenne, besoin d’une dizaine d’années pour mettre au point une nouvelle variété, stable, aux caractéristiques intéressantes. Grâce à l’IA, ce pas de temps peut être considérablement réduit, de plusieurs années. « La première étape d’un programme de sélection consiste à réaliser des croisements entre deux plantes aux atouts complémentaires, précise Pauline Bansept Baster. L’observation des descendances nous permet alors de repérer, parmi les lignées créées, celles qui semblent les plus prometteuses. Les algorithmes, utilisés par l’IA, renseignés avec toutes les données collectées précédemment, nous permettent de gagner du temps sur cette étape en repérant les plantes qui affichent le meilleur compromis entre les différents caractères recherchés : rendement, résistance aux maladies et/ou aux aléas climatiques, qualité… » Plutôt que de tester physiquement chaque croisement, sous serre puis au champ, l’IA permet de prédire quelles combinaisons donneront les meilleures performances en termes de rendement, de résistance aux maladies ou d’adaptation au climat. 
Certains laboratoires travaillent également sur des modèles informatiques simulant la croissance des plantes en fonction de leur génome et de leur environnement. Cela permet de tester virtuellement différentes conditions de culture avant même de réaliser des essais en plein champ. Une option qui, là encore, réduit le temps pour élaborer de nouvelles variétés. En résumé, l’IA aide les sélectionneurs à faire du phénotypage à haut débit, notamment pour confronter chaque génétique à des millions de données météorologiques, pédologiques et sanitaires. L’objectif : sélectionner les variétés qui sauront le mieux s’adapter à tel ou tel contexte pédoclimatique. L’enjeu est aussi de préparer l’avenir en anticipant ce que pourrait être le climat dans 10 ou 20 ans et ainsi, identifier les variétés qui se comporteront le mieux. « L’IA nous permet de prendre en compte de plus en plus de facteurs pour faire des regroupements en fonction du type de sol, de la météo, de la rotation…, poursuit Frédéric Lievens, directeur marketing et développement chez Semences de France. Cette puissance d’analyses est une aide précieuse pour les chercheurs. Sur le terrain, cela nous guide aussi dans le positionnement des variétés en fonction de chaque terroir. »
 

De l’IA aussi au champ

Une fois la variété mise au point, l’IA aide à prédire la germination et la vigueur de cette semence, avant même sa mise en terre. Comment ? En analysant des milliers de données de variétés déjà testées, en termes de conditions de stockage, du climat au moment du semis (humidité, température…). L’idée étant d’identifier les conditions dans lesquelles la variété sera la plus performante. 
Dans les usines de production de semences aussi, l’IA apporte un plus. À chaque étape de tri, sont positionnés des caméras, des détecteurs, des lumières infrarouges pour repérer toute éventuelle anomalie. Les graines qui ne correspondent pas aux critères souhaités en termes de couleur, de taille ou de forme, sont écartées de la chaîne de conditionnement. Des étapes qui, sans l’aide de ces outils de pointe, ne pourraient pas être aussi précises. 
Pour la partie recherche, nous l’avons bien compris, l’IA joue depuis plusieurs années déjà un vrai rôle d’accélérateur. Mais n’oublions pas le volet « conseil » : c’est plus nouveau mais là aussi, l’IA apporte de nouvelles aides aux agriculteurs, via notamment la mise au point d’outils d’aide à la décision (OAD) pour préciser la date de semis, anticiper l’arrivée de maladies, positionner au mieux les dates d’intervention pour les traitements, piloter plus finement l’irrigation, les apports d’engrais… Ces modèles sont capables d’ajuster les recommandations en temps réel : un gain à la fois économique et environnemental. Car apporter la juste dose au bon moment est non seulement bénéfique pour le portefeuille de l’agriculteur mais aussi pour l’environnement.

Se former pour garder le contrôle

Le potentiel de l’IA semble énorme. Mais, comme le souligne Pauline Bansept Basler, « la limite aujourd’hui, c’est la logistique disponible. L’IA va presque trop vite par rapport à notre capacité de multiplication et de tests de semences. Nous devons trouver le juste équilibre. » Et Medhi Sine, directeur général de l’Acta (Instituts techniques agricoles) de mettre en garde contre les fausses promesses. « La base d’une « bonne » IA, c’est la qualité des données qui l’alimentent. Pour être encore plus performant, je pense qu’il est important d’associer toutes les recherches : celle des entreprises publiques, privées, des instituts techniques… L’enjeu est aussi de réussir à créer des modèles spécifiques pour s’adapter à des besoins précis. » Pauline Bansept Basler reconnaît qu’avec l’arrivée de l’IA, le métier des sélectionneurs a changé. « Avant, ils passaient l’essentiel de leur temps au champ. Désormais, ils travaillent aussi au bureau, en partenariat avec des datas scientistes et des développeurs qui ont besoin de leurs connaissances du terrain. » Et puis, tous reconnaissent que l’IA peut faire peur. La solution ? Se former pour appréhender au mieux ces nouvelles technologies.

Anne Gilet

L’intelligence artificielle (IA) est la capacité des machines à effectuer des tâches, typiquement associées à l’intelligence humaine, comme l'apprentissage, le raisonnement, la résolution de problèmes, la perception ou la prise de décision.

L’histoire de l’IA remonte aux années 1940, avec le mathématicien Alan Turing et sa machine portant son nom, capable de réaliser d’incroyables calculs. Même si cette « machine pensante » fut le plus souvent accueillie avec peur, lui était convaincu qu’à terme, de tels outils pourraient être programmés pour reproduire l’intelligence humaine. Au cours des années 1950 et 1960, l’intelligence artificielle a connu un développement rapide. Les chercheurs ont commencé à créer des programmes capables de résoudre des problèmes et de jouer à des jeux tels que les échecs. L’un des moments les plus mémorables de cette période s’est produit en 1997, lorsque l’ordinateur Deep Blue d’IBM a battu le champion du monde d’échecs Garry Kasparov. À l’aube du 21e siècle, l’IA a commencé à se transformer grâce à des algorithmes plus profonds et à des capacités de calcul accrues. Les chercheurs ont maintenant accès à des ensembles de données massifs et peuvent entraîner des IA à effectuer des tâches toujours plus complexes.

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