Le chanvre, du THC aux huiles végétales

Dans le discours courant, le chanvre (du latin Cannabis) est le plus souvent assimilé à la molécule de THC (Tetrahydrocannabinol). Or, la plante a considérablement évolué au fil des décennies… Il existe certes toujours, de par le monde, des parcelles de chanvre cultivé pour ses substances hallucinogènes. Mais n’oublions pas que le chanvre constitue une plante originaire d’Asie centrale, cultivée depuis plus de 8 000 ans pour sa fibre textile et sa graine oléagineuse. Cette plante présente donc un potentiel très riche, connu depuis des millénaires.

Variété de chanvre monoïque ©CCPSC ©CCPSC

Au cours du XXe siècle, la plante a été améliorée pour répondre à une plus grande diversité de débouchés : textile, papeterie, plasturgie, isolants naturels, huiles végétales… Aujourd’hui, à chaque usage correspond une variété distincte. Mais toutes ces variétés de chanvre ont été sélectionnées de sorte qu’elles ne contiennent presque plus de THC (moins de 0,2 %). En France, elles sont cultivées dans des bassins de production ciblés. Elles se caractérisent par des plantes très hautes, pouvant atteindre les 3 mètres, ornées de feuilles composées, longues et pointues, qui seront récoltées autour de la fin septembre.

Une plante, 3 matières premières

Le chanvre constitue une plante d’une grande richesse pour l’industrie… Trois de ses constituants peuvent être exploités, et pour des débouchés foncièrement différents. La fibre qui entoure la chènevotte ─ la structure boisée qui constitue le cœur-même de la plante ─, se transforme en textile vestimentaire ou de maison (draps, torchons…), mais aussi en papiers très fins (à cigarette notamment) ou en cordage. La chènevotte donne une laine qui présente une bonne performance acoustique et thermique, mais peut également être utilisée comme paillage pour les litières des animaux d’élevage ou domestiques, ou comme parpaings pour la construction.

La graine de chanvre, enfin, est utilisée pour nourrir les oiseaux ou comme appât de pêche. Guillaume Duval, responsable du site de la CCPSC (Coopérative centrale des producteurs de semences de chanvre) à Beaufort-en-Anjou (49), explique : « D’autres débouchés se développent pour les graines. Par exemple, l’huile végétale à base de chanvre, qui présente un excellent rapport oméga 6 et oméga 3, se développe en France. Dans les pays d’Europe du Nord, elle est déjà fréquemment utilisée. ». Christophe Février, directeur général de la FNPC (Fédération nationale des producteurs de chanvre), ajoute : « Globalement, le marché du chanvre est en pleine expansion. Les qualités “vertes” de cette culture en font une vraie alternative aux composants traditionnels de la construction – ciment –, de la plasturgie qui recourt sinon aux hydrocarbures – les portières de voiture sont un débouché, par exemple – ou aux isolants – en remplacement de la laine de verre. ».

Une culture « verte »

En quoi le chanvre est-il une culture synonyme de respect de l’environnement ? Trois raisons à cela : la culture du chanvre nécessite peu d’eau, pas de pesticides, pas d’herbicides (sauf ponctuellement en production de semences de chanvre). « On comprend mieux l’intérêt que cette plante présente pour des débouchés aussi diversifiés, fait remarquer Christophe Février. Il n’est pas impossible, dans le futur, que les billets de banque soient composés de chanvre plutôt que de coton, culture qui nécessite beaucoup d’eau ! ».

Après un désintérêt pour la culture du chanvre au tournant des années 1960, celle-ci connaît donc un regain d’intérêt. En effet, l’arrivée et l’engouement pour la fibre synthétique a signé le déclin de la culture du chanvre en France et la fermeture des industries textile correspondantes. Les nombreuses qualités de cette plante la font aujourd’hui revenir sur le devant de la scène. Les politiques publiques européennes accompagnent d’ailleurs les producteurs qui choisissent cette culture, à travers les aides à la production attribuées au titre de la PAC (Politique agricole commune).

Une plante sélectionnée

Le chanvre est une plante qui a beaucoup évolué au cours du dernier siècle. Jacques Martin, président de la CCPSC, raconte : « Il a d’abord fallu créer des variétés avec un taux de THC règlementaire sans THC, afin de pouvoir les cultiver sur notre sol pour des débouchés industriels. En effet, le cadre réglementaire pour la culture et la commercialisation du chanvre est très strict en France et en Europe. La première variété sans THC a été créée dans les années 1960. » Puis, le chanvre a évolué de plante dioïque en plante monoïque. Les plantes dioïques nécessitent un pied mâle et un pied femelle pour se reproduire (c’est le cas de l’asperge ou du kiwi). Les plantes monoïques, quant à elles, ont des fleurs de chaque sexe sur le même pied (maïs, noisetier…). « Les variétés monoïques de chanvre présentent, entre autres, une qualité de fibre très supérieure, reprend Jacques Martin. C’est pourquoi le chanvre français s’exporte si bien aujourd’hui ».
 

Car l’Hexagone exporte son chanvre. Sur les 20 000 hectares européens de culture de chanvre, plus de 11 000 sont français. En Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique du Nord, il est ensuite transformé selon les besoins des différents territoires. Ainsi, les industries textile et papetières, mais aussi de la construction, de la plasturgie et alimentaires, achètent le chanvre français pour le transformer. La France exporte aussi ses semences de chanvre. La génétique de ses variétés monoïques sans THC lui vaut une réputation de qualité mondiale. 40 % des semences françaises sont ainsi destinées à l’étranger, essentiellement vers l’Europe (Pays-Bas et Italie en tête), mais aussi les Etats-Unis et le Canada. La France représente d’ailleurs le leader mondial de la production de semences de chanvre. La raison ? « La génétique des variétés françaises, bien entendu, mais aussi les compétences spécifiques qu’il faut pour multiplier les semences de chanvre, observe Guillaume Duval. C’est une espèce qui nécessite un savoir-faire très particulier. ».

La production de semences de chanvre est très localisée. La CCPSC compte deux bassins de cultures sur tout le territoire, et c’est-là l’intégralité de la production de semences de chanvre… Le bassin du Maine-et-Loire est le plus important en termes d’activité. Il regroupe 100 producteurs. Le second, situé en Ille-et-Vilaine (35), regroupe 25 producteurs. Les bonnes années, les 1500 hectares français de production de semences peuvent donner 1 800 tonnes de semences !

Quant à la culture du chanvre proprement dite, elle se fait autour de deux coopératives de producteurs : La Chanvrière dans l’Aube (10) et la Cavac en Vendée (85). La Chanvrière procède à la première transformation de la plante après récolte, c’est-à-dire qu’à l’aide d’un matériel dédié elle sépare la fibre de la chènevotte. La Cavac effectue plusieurs transformations, ce qui lui permet de commercialiser des produits finis, dont des bobines de laine isolante.

« En production de semences, on ne récolte pas les fibres, analyse Jacques Martin de la CCPSC. Car on ne mène pas la culture du chanvre et la culture de semences de chanvre de la même manière ! Et elles sont antinomiques… Là où on aura beaucoup de semences de belle qualité, nous aurons des fibres de piètre qualité. Donc pas de rouissage pour nous ! ».

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