L'instabilité naturelle du génome, base de l'amélioration des plantes

Les plantes comme les animaux multiplient leurs cellules tout au long de leur vie. Le matériel génétique est copié, recopié, généralement à l’identique. Mais parfois un petit changement peut induire des nouvelles caractéristiques intéressantes ! C’est la théorie de Darwin sur l’évolution et l’adaptation des espèces. Aujourd’hui, avec l’explosion des connaissances en génétique, il devient possible d’améliorer de manière plus précise les céréales, mais aussi beaucoup de fruits et des légumes, pour répondre aux nouvelles attentes des consommateurs.

Biodiversité du maïs © Géraldine Berne

« Depuis le début de l’agriculture, l’homme utilise plus ou moins consciemment deux grands concepts : l’évolution par les mutations naturelles qui apparaissent à chaque cycle cellulaire et l’hérédité transmise lors de la reproduction sexuée, explique Fabien Nogué, directeur de recherche à l’Inra. Les génomes végétaux ne sont pas gravés dans la pierre. ». Bref, l’instabilité naturelle du génome est la base même de l’amélioration des plantes... Ainsi, le maïs actuel a pour ancêtre la téosinte, qui possédait moins de vingt petites graines non assimilables par l’homme ou les animaux à cause de l’épaisseur de leurs enveloppes. Par des mutations naturelles et des sélections successives, le maïs est composé aujourd’hui d’un épi de 500 grains très apprécié en alimentation ; il est devenu la céréale la plus cultivée dans le monde. Autre exemple de mutation spontanée : la différence de couleur entre le raisin vert et le raisin rouge résulte d’une mutation spontanée il y a 3 000 ans. Beaucoup plus récemment encore, en 1975, une mutation qui contrôle l’accumulation de bêta-carotène est apparue chez le chou-fleur !

« Il y a par exemple 90 000 gènes chez le blé, continue Fabien Nogué. Statistiquement, dans un champ de blé d’un hectare, tous les gènes ont au moins une mutation naturelle. Mais rares sont les mutations qui touchent un gène d’intérêt – c’est-à-dire responsable d'un caractère jugé intéressant. ». D’où l’utilisation de produits chimiques pour induire et augmenter le nombre de mutations, technique utilisée depuis les années 1950. Actuellement, des milliers de variétés de mutants sont cultivées dans le monde, mais leur mise sur le marché nécessite de lourds protocoles de recherche et de développement.

Séquençage et ciseaux moléculaires

Aujourd’hui, deux facteurs sont en train de changer la donne en génétique. Tout d’abord, le matériel de séquençage (qui permet d’identifier et de « lire » tous les gènes intéressants) est accessible techniquement et financièrement pour toutes les espèces et pas seulement pour les grandes cultures. Ensuite, des « ciseaux moléculaires » sont capables de cibler et modifier finement les gènes, créant ainsi une mutation identique à celle que peut faire la nature.

Différents outils développés ces dix dernières années parmi les ciseaux moléculaires, dont le petit dernier CRISPR CAS*, peuvent inactiver un gène ou changer légèrement l’ADN d’un gène intéressant. « Il est possible de modifier la durée de conservation de la tomate, de modifier sa forme ou de la rendre résistance à des virus, précise Fabien Nogué. On peut aussi faire produire de la bêta-carotène à des graines ou des fruits et légumes qui n’en contiennent pas. C’est d’ailleurs un projet que nous aimerions lancer sur la pomme de terre. »

L’utilisation de ces ciseaux moléculaires peut aussi supprimer certains composés toxiques comme l’acide érucique chez les choux (provoquant des lésions cardiaques lorsqu’il est ingéré en grande quantité), l’acrylamide chez la pomme de terre (cancérigène à haute température), mais aussi les allergènes chez la cacahuète ou chez le blé (le fameux gluten).

Aux Etats Unis, des champignons de Paris qui ne brunissent pas, des pommes de terre qui produisent moins d’acrylamide ou encore des huiles au profil en acides gras modifiés sont déjà commercialisés. En Europe, le statut réglementaire de ces outils n’est pas encore défini, même lorsque la modification est similaire à une mutation naturelle. Il n’existe donc pas encore de végétaux améliorés avec ces nouvelles techniques dans nos assiettes, mais la recherche avance vite, y compris en France.

GENIUS, projet phare de l’Inra

La France a développé le projet d’avenir GENIUS* en 2012. Il associe 10 partenaires publics dans les domaines des sciences de la vie et des sciences sociales, ainsi que 5 entreprises du secteur privé spécialisées dans la création variétale et/ou les biotechnologies. Fabien Nogué, très impliqué dans le programme GENIUS, précise : « Il a permis d’acquérir et d’améliorer les méthodes d'ingénierie cellulaire pour 9 espèces cultivées (blé, maïs, riz, colza, tomate, pomme de terre, peuplier, pommier, rosier). Le fait de pouvoir éteindre des gènes ou d’en réveiller d’autres sans modifier le reste du génome ouvre de nouvelles possibilités pour les agriculteurs mais aussi les consommateurs. 15 laboratoires maîtrisent la technologie. Il serait dommage de ne pas utiliser et tester les outils performants qui sont disponibles. ».

Marie Rigouzzo


* CRISPR CAS et les ciseaux moléculaires : en savoir plus sur www.horizonbiotechs.com

GENIUS est l’abréviation du titre anglais du projet « Genome ENgineering Improvement for Useful plants of a Sustainable agriculture », qui se traduit par « lngénierie cellulaire : amélioration et innovation technologiques pour les plantes d’une agriculture durable ». GENIUS vise donc à développer de nouveaux outils dans le domaine des biotechnologies, qui serviront à la fois à la recherche et à l’amélioration des plantes pour atteindre le but d’une agriculture productive et durable.

Actuellement l’insertion d’un ADN modifié dans le génome de la plante se fait au hasard. Le projet GENIUS vise à intégrer l’ADN modifié à un endroit préalablement choisi dans le génome de la plante ou à changer une ou plusieurs lettres, sans introduire de l’ADN ailleurs dans le génome. Ces outils seront mis à la disposition des chercheurs et des sélectionneurs français. Le projet développe aussi un volet sur l’amélioration de l’insertion de gènes (transgénèse).

La première partie du projet a débuté en 2012 et s’achèvera en 2019. Le budget alloué est de 21 millions d’euros. http://www.genius-project.fr/

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