La semence, un élément stratégique pour le devenir de l'agriculture biologique

Mélanie Vanpraët, animatrice de la Commission semences bio de l’Inao

L’agriculture biologique fait face à une demande croissante de la part des consommateurs. Les agriculteurs AB, quant à eux, ont beaucoup d’attentes concernant les semences… En amont de la production, elles doivent respecter un ensemble de critères. Elles sont aussi porteuses d’une génétique décisive pour le bon développement des plantes dans les champs.

La production biologique serait sur une pente ascendante... Est-ce confirmé ? Et si oui, comment expliquez-vous cet état de fait ?

Mélanie VanpraëtLe premier semestre 2016 a coïncidé avec un record historique du nombre d’engagements dans la production biologique en France. Cela a été établi par l’Agence bio, la plateforme nationale d'information et d'actions pour le développement de l'agriculture biologique en France. Il y a, selon moi, plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, une sensibilité grandissante à l’environnement et au bien-être animal au sein de la population française, dont font bien évidemment partie les agriculteurs et les éleveurs. Ensuite, il y a un marché pour le bio, des attentes des consommateurs. Car, même si la production bio est en croissance, un quart des produits bio vendus en France sont importés !

Je tiens à préciser que le développement, en parallèle du bio, de filière courtes attentives à l’origine de produits constitue une tendance de fond. Et cette tendance n’a cessé de se renforcer depuis trente-cinq ans. Il n’est plus possible aujourd’hui de la confondre avec un simple effet de mode.

Depuis trente-cinq ans ?

Le premier cahier des charges à échelle mondiale en AB remonte à 1981… Et il est français ! Les premiers signes d’engagement des agriculteurs dans cette démarche n’ont pas tardé à suivre, ce qui a suscité l’intérêt immédiat d’un certain nombre d’Etats membres de l’Union européenne. Au début des années 1990, un premier règlement européen a été élaboré, dont la révision est entrée en application en 2009. Aujourd’hui, le règlement européen est à nouveau repensé. L’objectif est de réaffirmer et de renforcer les principes fondamentaux de la production biologique, dans un contexte de croissance significative du phénomène.

Justement, pouvez-vous nous rappeler quels sont ces fondamentaux ?

On peut citer notamment :
• Le respect des cycles naturels et le maintien de la biodiversité.
• Le non-recours à des intrants de synthèse.
• L’amélioration du bien-être animal.
• L’absence d’utilisation de plantes OGM (organismes génétiquement modifiés).
• La traçabilité du bio depuis la semence pour la production végétale (ou de la naissance de l’animal en élevage) jusqu’à la commercialisation du produit.

Le cahier de charges AB s’engage exclusivement sur la qualité environnementale. La recherche d’un meilleur profil nutritif ne fait donc pas partie des objectifs du cahier des charges AB, contrairement à ce que certains articles de presse peuvent laisser penser. Toutefois, la production de produits de qualité figure dans les objectifs du règlement.

La conversion des agriculteurs au cahier des charges AB est-elle toujours encouragée par l’État ?

Oui, cette aide est instaurée pour une durée de cinq ans… Tout simplement, pour combler le manque à gagner des agriculteurs sur cette période. Cinq ans, c’est le délai pour acquérir le savoir-faire nécessaire à la production AB, et donc gagner en rentabilité.

C’est-à-dire ?

La production en bio demande plus d’agronomie et davantage de savoir-faire que la production conventionnelle. Il faut notamment établir un plan annuel de rotation des cultures Tout simplement, parce qu’il faut anticiper le risque de développement de parasites lié à chaque culture et le réduire par une gestion appropriée de la rotation des cultures. L’impossibilité d’utiliser l’ensemble de la palette existante de produits phytosanitaires contraint à être particulièrement vigilant et à avoir une gestion préventive plutôt que curative : on cherche à prévenir, puisque l’on est limité sur les outils permettant de « guérir » la plante malade. Cela passe aussi par un ensemble de gestes techniques. Pour prévenir le mildiou de la tomate par exemple, on effeuille la plante.

C’est la même chose en élevage. Pour prévenir la mammite, il y a tout un ensemble de geste à connaître et de précautions à prendre.

Le cahier des charges AB tolère néanmoins l’utilisation de certains produits ?

Oui, car il faut être réaliste : on aurait peu, voire pas, de résultats si on ne recourait pas au cuivre par exemple. Il faut bien protéger les plantes des attaques qu’elles subissent. Or, elles sont nombreuses ! Mais le cahier des charges AB définit ce qui peut être utilisé, en termes de types de produits, ainsi que de modalités d’application (type de culture, nombre de traitement, doses à appliquer). Tout d’abord, l’impact environnemental doit être faible. Ensuite, il est interdit de traiter la plante avec des produits chimiques de synthèse, notamment les produits « systémiques », c’est-à-dire qui pénètrent dans la plante. Les produits non systémiques sont, bien entendu, moins puissants.

Vous dites que le bio commence à la semence, pourquoi est-ce nécessaire ?

La semence, c’est un matériel de reproduction : c’est le début de tout. Par conséquent, il est indispensable que les agriculteurs bio mettent en terre des semences bio. Celles-ci proviennent des champs d’agriculteurs multiplicateurs de semences qui, eux-mêmes, respectent le cahier des charges AB. Ainsi, il y a cohérence et traçabilité.

Parfois, comme ce que l’on a connu en 2016, les conditions climatiques engendrent trop de maladies, et il n’y a pas ou peu, pour certaines espèces, de production de semences en AB. Dans ce cas, les agriculteurs font des demandes de dérogation pour avoir le droit d’utiliser des semences venues d’agriculteurs-multiplicateurs conventionnels, avec l’exigence de ne pouvoir utiliser que des semences non traitées.

La semence est stratégique à un deuxième niveau. Elle porte en elle une génétique, qui sera décisive pour la suite…

C’est-à-dire ?

Le patrimoine génétique porté par la semence conditionne le futur comportement de la plante dans les champs. Par exemple, elle porte en elle certaines résistances naturelles à des maladies, qui lui permettront de survivre même sans ajout de produit phytosanitaire, ou avec un faible apport de produit. C’est pour cela que la filière bio est en attente de mise sur le marché de variétés très résistantes, adaptées aux conditions particulières du cahier des charges AB. Deux variétés ont déjà été créées en blé par l’Inra, spécialement pour les agriculteurs bio. Dans le public comme dans le privé, on trouve des acteurs spécialisés en sélection, qui se mobilisent pour la filière bio.

D’ailleurs, il n’y a pas que les agriculteurs AB qui sont intéressés par les variétés bio. De plus en plus d’agriculteurs non certifiés AB recherchent à limiter l’impact environnemental des cultures. Ils savent que la génétique des plantes est décisive pour cela…

On entend de plus en plus de voix, venues d’horizons variés, affirmer que les nouvelles techniques de sélection végétale (la mutagénèse, par exemple) sont l’avenir de l’agriculture biologique et de l’agro-écologie. Car, en apportant de plus grandes résistances naturelles aux plantes, elles permettraient de limiter l’apport de produits phytosanitaires. Pourtant, de nombreux représentants des producteurs AB ont des réticences sur ce sujet. Un consensus est-il envisageable dans un futur proche ?

L’Inao a pour mission la mise en œuvre de la politique européenne sur le sujet de la production bio, et n’a donc pas vocation à prendre position sur ce sujet. Mais la question est posée sur la table de discussion de l’Union européenne, afin d’avoir une prise de position concernant les variétés produites avec ces nouvelles techniques de sélection.

Propos recueillis par A.G.

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