Crispr Cas 9 : loué en médecine, décrié en sélection végétale ?

Après les polémiques sur les OGM, ce sont les NBT (New breeding techniques) qui animent les débats sur la sélection et la recherche variétale. La méthode des « ciseaux moléculaires » Crispr Cas9, mise au point en 2012, fait souvent parler d’elle, louée par les uns, décriée par les autres. L’une des co-découvreuses, Emmanuelle Charpentier, est française et elle a obtenu le Prix Nobel de chimie en 2020.

Crispr Cas 9 : loué en médecine, décrié en sélection végétale ? ©Sebastien Champion

Depuis octobre dernier, le débat sur les NBT a été relancé par l’attribution du prix Nobel à la généticienne et microbiologiste française Emmanuelle Charpentier et à sa collaboratrice américaine Jennifer Doudna, pour la mise au point de la technologie d'édition du génome Crispr Cas9. La polémique sur les « OGM cachés » reprend. Quelle vérité se cache sous cette appellation ? Doit-on bannir cette technique ? Pourquoi alors cette innovation a-t-elle été distinguée par le Prix Nobel ? Depuis 2012, année de sa mise au point, la méthode Crispr Cas9, dite des « ciseaux moléculaires », suscite de nombreuses interrogations. 

Crispr Cas9, de grands espoirs pour sauver des vies

En quoi consiste la technique Crispr Cas 9 ? Pour faire simple, dans chacune des cellules de notre corps, se cache un long ruban d'ADN (1) qui se présente sous la forme d'une double hélice, qui contient l'ensemble des gènes qui prédéterminent les caractéristiques de l'individu. Ces gènes sont codés, comme en informatique, avec des séquences de bases identifiées par les lettres A, T, G et C. 
C’est là qu’interviennent les "ciseaux" de Crispr Cas9, qui associent en fait deux éléments : un brin d'ARN (2), une molécule très proche de l'ADN à ce détail près qu'il s'agit d'une hélice simple, et une enzyme, Cas9, qui est capable de "couper" le ruban d'ADN à un endroit précis, entre deux bases bien identifiées. Ce système permet simplement d'inactiver un gène problématique, de le remplacer par une copie saine, de provoquer une mutation ou de laisser la cellule réparer elle-même l'ADN.

(1) L'ADN est la molécule en double hélice, qui contient le support génétique de tout être vivant. L'information contenue dans les gènes va servir à la fabrication de milliers de protéines qui interviennent dans le fonctionnement de la cellule.
(2) Fabriquée sur le modèle de l'ADN, mais en simple hélice, la molécule d’ARN agit comme intermédiaire entre l’ADN et les protéines.

Plus précis, rapide et moins coûteux

Cette nouvelle technique d’édition génomique se caractérise par sa précision, sa facilité d’utilisation et par son faible coût. Elle ouvre de nouvelles pistes pour la compréhension des mécanismes moléculaires ou l'élaboration de nouvelles approches thérapeutiques en santé humaine. C’est à ce titre que Crispr Cas9 suscite des espoirs dans la mise au point de traitements de pathologies héréditaires, ou dans le développement des nouvelles immunothérapies contre le cancer, ou encore dans la fabrication de médicaments ou vaccins.
La méthode Crispr Cas9 trouve également de multiples applications dans les biotechnologies dites « vertes », notamment dans la production de biocarburants ou de biomatériaux.

Pour la sélection de variétés résistantes

En agronomie, les sélectionneurs peuvent utiliser cette technique pour modifier le génome des plantes, afin de les rendre tolérantes à une maladie ou résistantes à un ravageur, l’objectif étant d’éviter de recourir aux produits phytosanitaires. Des recherches sont aussi menées pour anticiper les réactions des plantes aux conditions environnementales liées au changement climatique, ou pour améliorer la qualité nutritionnelle des grains et des fruits récoltés.
Point important, cette méthode de sélection permet de modifier une plante sans introduire d’ADN étranger dans le génome. Selon le gène ciblé et la mutation souhaitée, les changements peuvent ressembler à ce qui aurait pu survenir naturellement. 
Pour illustrer les bienfaits de cette technique, on prend souvent l’exemple de la vigne. Le champignon du mildiou est son ennemi le plus redoutable, surtout en années pluvieuses. Cela oblige le viticulteur à épandre de grandes quantités de produits phytosanitaires. En production biologique, il n’est pas rare de faire 10 à 15 passages de sulfate de cuivre ! Des variétés mutées pourraient permettre d’éviter ces traitements.
Autre exemple, le blé tendre, une des premières espèces de céréales cultivées dans le monde avec le riz et le maïs. Du fait de son génome complexe, la sélection de cette céréale est longue et compliquée. L’utilisation des NBT permettrait de raccourcir les délais et d’offrir de belles perspectives d’amélioration (voir encadré).

Depuis leur découverte, les techniques d'édition génomique ont pris une bonne place dans les laboratoires et les parcelles de recherche en Chine, aux USA, au Canada... Pas en France, ni en Europe, car la réglementation européenne (qui date de 2001) considère qu'elles sont assimilées aux OGM, donc elles y sont interdites. Cependant, le comité de scientifiques de la Commission européenne s'est exprimé sur ce point. Il considère que c'est la variété qui doit être évaluée pour les services qu'elle apporte, et non la technique dont elle est issue. Bref, un sujet complexe.

Laure Gry

Le blé est une des principales cultures dans le monde, avec le riz et le maïs. Les rendements varient considérablement d'un continent à l'autre. C’est dire combien il est important d’améliorer la productivité du blé, pour assurer l’alimentation d’une population en forte augmentation. Depuis longtemps, les chercheurs s’efforcent de sélectionner des variétés de blé résistantes à l’oïdium, une maladie responsable de lourdes pertes, en particulier, sous certains climats et certaines latitudes, comme en Chine. Problème pour le sélectionneur, le génome du blé tendre est complexe. A la différence de l’ADN humain, qui comporte des chromosomes diploïdes, le blé possède des chromosomes hexaploïdes. Cela signifie que le même gène est présent en trois ou six exemplaires et doit donc être neutralisé trois ou six fois. Grâce aux NBT, des chercheurs chinois ont réussi à obtenir la mutation simultanée de trois gènes portés par trois chromosomes du triple génome du blé. On remarque que ce même exploit aurait été illusoire en sélection traditionnelle : le sélectionneur aurait eu une chance infinitésimale de voir la mutation se produire.

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