La moutarde, une histoire bourguignonne qui ne manque pas de piquant !

Devenue une denrée rare ce printemps, la moutarde a, cet automne, vu ses hectares de culture presque tripler en France. L’enjeu : assurer une production nationale pour se prémunir d’événements climatiques et/ou géopolitiques dans les grands pays producteurs . Mais implanter cette culture comporte certains risques. En Bourgogne, des agriculteurs relèvent le défi.

La pénurie de graines de moutarde a relancé la production en Bourgogne. Effet d'aubaine ou tendance durable ? © Istock-rezkrr

Cela n’aura échappé à personne. Depuis le printemps, la moutarde a disparu des rayons des grands magasins. Entre pénuries ou gammes réduites, difficile, pour les huit français sur dix qui en consomment régulièrement, de dénicher ce condiment, devenu rare. Pourtant, la France en vend chaque année l’équivalent de 135 millions d’euros. Comment peut-on manquer d’un produit aussi banal ? La faute à un concentré d’évènements, climatiques et géopolitiques, dans différents territoires de la planète. 

Les principaux pays producteurs, incapables d’approvisionner leurs clients

Jetons un œil tout d’abord de l’autre côté de l’Océan Atlantique, au Canada. Ce pays fournit, en temps normal, plus de 80 % des besoins de la France. Or, là-bas, depuis plusieurs années, les parcelles de moutarde sont, tour à tour, soumises à d’importantes sécheresses ou, à l’inverse, à de fortes pluies. Résultat : la production canadienne  est passée de 174 000 tonnes en 2018-19, à seulement 70 000 tonnes en 2021-22. Pour satisfaire ses propres besoins, le Canada a donc décidé de réduire ses exportations. En année classique, la France aurait pu se tourner vers les autres grands pays producteurs. Oui mais voilà, sur le podium, à la deuxième et troisième place, se positionnent l’Ukraine et la Russie. La guerre menée par la Russie en Ukraine depuis le mois de février 2022 a, bien évidemment, rendu impossibles ces échanges : logistique interrompue puis compliquée en Ukraine ; embargo commercial contre la Russie. 

En 2022, 10 000 hectares semés en Bourgogne

Les besoins français sont estimés, chaque année en moyenne, à 35 000 tonnes de graines de moutarde. Jusqu’en 2016, la France produisait environ un tiers de ce volume. Mais face à la disparition du marché de solutions insecticides, bon nombre d’agriculteurs se sont détournés de cette production. Elle devenait trop risquée et donc, moins rentable. Résultat : seulement 4 000 tonnes produites en 2021. « La Bourgogne regroupe à elle seule près de 95 % de la production française, précise Jérôme Gervais, conseiller spécialisé à la chambre d’agriculture de Côte d’Or. La pénurie observée cette année a redonné un élan à cette culture dans la région. Les semis sont ainsi passés de 4 000 hectares à l’automne 2021 à 10 000 hectares cette année. Les moutardiers locaux tirent la demande. Pour séduire de nouveaux producteurs et rendre plus attractive la moutarde, au détriment du colza, le prix des contrats de vente a, dans le même temps, augmenté de 60 % ! »

La grosse altise, principal fléau de la moutarde

Au niveau variétal, les agriculteurs ont le choix entre six variétés de moutarde noire : des variétés développées par l’APGMB, l’association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne, en partenariat avec l’Institut Agro de Dijon. « Il faut environ 2 kg de graines pour semer un hectare, précise-t-il. Mais mieux vaut prévoir un peu plus car les levées et les premières semaines de végétation sont parfois difficiles. Entre les attaques d’insectes, de grosses altises notamment, et les risques de gel, il n’est pas rare  que les agriculteurs aient à ressemer la totalité de leurs hectares, comme ce fut le cas en 2003 et 2012. » Les génétiques  sélectionnées sont des variétés de printemps, semées le plus souvent dès le mois de septembre, pour profiter d’un potentiel de rendement plus élevé, de 20 % en moyenne. 
Les attaques de ravageurs restent le principal fléau de la culture de moutarde. « En colza également mais pour celui-ci, l’une des parades consiste à anticiper les semis pour que les plantes soient assez vigoureuses quand attaquent les premiers insectes, explique Jérôme Gervais. Mais avec la moutarde, cette stratégie n’est pas possible. Semées trop tôt, les plantes risqueraient de fleurir avant l’hiver ! Et côté chimie, aucune solution insecticide n’est homologuée sur moutarde. En moyenne, le rendement attendu oscille entre 1,7 et 1,8 tonne/hectare , soit moitié moins qu’un colza. Mais ces trois dernières années, nous étions plutôt aux alentours de 1,1 t/ha. D’où la nécessité d’avoir des prix rémunérateurs pour décider les producteurs à opter pour la moutarde plutôt que pour le colza. En moyenne, la marge attendue pour une moutarde est supérieure de 20 % à celle d’un colza. » 

La moutarde, un anti-limaces pour les blés

La moutarde possède malgré tout certains atouts indéniables. « Elle constitue par exemple, dans les blés implantés après elle, un excellent repoussoir pour les limaces, poursuit-il. Ces ravageurs n’apprécient pas le goût piquant de leurs feuilles. S’alimentant moins bien, elles finissent par quitter la parcelle ou mourir. Pour les agriculteurs, opter pour la moutarde permet aussi d’étaler les travaux dans les champs : les semis s’effectuant entre ceux de colza et des céréales. Quant à la récolte, la moutarde ne s’égrène pas, contrairement au colza. Un autre avantage à prendre en compte. » 
Les moutardiers bourguignons ont, chaque année, besoin de 30 000 tonnes de graines. Les hectares implantés cet automne devraient, si tout va bien, permettre de produire près de 15 000 tonnes. « Il existe encore une marge de progression en termes de surfaces, concède Jérôme Gervais : de 15 à 20 %. Mais pas plus car les moutardiers préfèrent conserver plusieurs sources d’approvisionnement, dans différents pays, pour sécuriser leurs tonnages. » Donc, si tout va bien , la moutarde devrait dès l’an prochain faire sa réapparition sur les étals. Ouvrez l’œil ! Une grande partie des pots devrait désormais être estampillée « made in France ».  

Carole Loiseau
 

-    Les surfaces sont passées de 4 000 hectares en 2021 à 10 000 hectares en 2022.
-    La Bourgogne accueille 95 % des hectares produits sur le territoire.
-    Densité de semis : 2 kg/hectare.
-    Rendement moyen : 1,8 tonne/hectare.
-    Les agriculteurs ont le choix entre six variétés de moutarde noire qui se différencient par leur précocité, leur caractéristique culinaire (plus ou moins piquante) et leur sensibilité aux insectes.
 

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