Pharmacie et cosmétique :
des plantes sélectionnées pour leurs principes actifs

Mathieu Wident - Responsable technique de l'Iteipmai

Vous travaillez à l’Iteipmai. Quel est le rôle de cet institut technique agricole ?

Mathieu Wident - Responsable technique de l'Iteipmai
L’Iteipmai est une association de loi 1901 spécialisée dans trois secteurs : les plantes à parfum, les plantes aromatiques et les plantes médicinales. Elle regroupe une centaine d’adhérents qui travaillent sur la matière première agricole. La moitié se situe du côté amont, ce sont les producteurs de plantes, et 50 % du côté aval, avec les extracteurs/distillateurs et les entreprises de valorisation en cosmétique, pharmaceutique et compléments alimentaires. Depuis une dizaine d’années, on constate une diversification de ce secteur aval, notamment avec l’arrivée des fabricants d’aliments pour animaux. L’une des réussites dans ce secteur est le remplacement des antibiotiques, interdits par loi, par des extraits de plantes (thym, origan, cannelle, etc.) pour le traitement de certaines maladies dans les élevages.

Qui prend le dessus, la chimie de synthèse ou la chimie naturelle ?

La compétition est rude. Néanmoins, pour les médicaments, au moins 50 % des principes actifs demeurent d’origine naturelle. C’est le cas de la morphine, issue du pavot somnifère, qui conserve une place centrale comme plante médicinale. En revanche, dans la chimie fine du secteur pharmaceutique, l’apparition ou la découverte d’un procédé de synthèse d’une molécule jusque là produite d’une manière naturelle peut stopper la production d'une espèce. En effet, ce mode de production est beaucoup plus standardisé qu’une production agricole, et assorti d’une qualité constante. D’autres secteurs, comme l’homéopathie, conservent, par nature un lien fort avec la matière végétale.

Constatez-vous la volonté de revenir aux plantes, qui sont des ressources renouvelables ?

Le secteur pharmaceutique est à la recherche de molécules actives. Leur origine, synthétique ou naturelle, n’est pas un critère d’importance majeure. Pour les enrobages de médicament, c’est plutôt une logique de marché qui prévaut, car la matière première végétale est plus chère et plus variable en terme de qualité. En revanche, dans le secteur de la cosmétique, par exemple, l’évolution est clairement axée vers les produits naturels. Le grand public demande de sortir du « tout pétrole », ce qui ouvre la porte à des produits alternatifs comme les composés moussants, les biosolvants, les matières grasses ainsi que des principes actifs d’origine naturelle (extraits de camomille ou de lavande).

Quels sont les éléments qui vous intéressent dans la plante ?

On travaille essentiellement sur les métabolites secondaires. Il s’agit de composés synthétisés par la plante, qui ne sont pas essentiels à sa croissance, mais qui l’aident à résister aux agressions extérieures, par exemple. C’est ainsi que certains composés démontrent des propriétés anti-inflammatoires ou antioxydantes. Il faut noter que, pendant longtemps, les industriels se sont servis des matières premières végétales sans vraiment les connaître. Ils adaptaient, sans cesse, leurs procédés à la qualité variable de la matière première végétale. Or, actuellement, beaucoup d’entre eux cherchent à comprendre comment les principes actifs se retrouvent dans la plante, les impacts des pratiques agricoles sur les productions, etc. Je dirais qu’on assiste à une prise de conscience et à une volonté de travailler de concert avec la production agricole sur la qualité et la traçabilité des productions. Il s’agit d’un signal fort, perçu depuis plusieurs années maintenant, que cette envie des industriels français de mieux connaître leur matière première et de s’approvisionner en matière de qualité. Ils jouent également de plus en plus la carte de la production française, qui se distingue des autres par sa qualité supérieure et ses garanties de sécurité et de traçabilité. Et ça marche, contrairement à beaucoup d’autres secteurs, les surfaces agricoles allouées aux plantes médicinales et aromatiques continuent de progresser.

Pharmaceutique ou cosmétique, quel domaine est le plus demandeur d’innovation ?

Le monde pharmaceutique est, par nature, très règlementé. Dans ce secteur, c’est donc le travail sur la richesse en principes actifs qui prévaut. Résultat : on sort rarement des sentiers battus. En revanche, en cosmétique, la recherche d’innovation et de nouveaux produits est centrale. Soit on cherche à extraire de nouvelles molécules, soit on cherche de nouvelles plantes où extraire les molécules. Car, pour certains composés que l’on retrouve dans différentes espèces, la facilité d’extraction peut varier, selon la richesse et la localisation du principe actif dans les plantes (fruit, tige, fleur, etc.).

Améliorez-vous aussi la qualité des principes actifs ?

On cherche à appuyer la profession sur la production de plantes riches en principes actifs de qualité. Depuis quelques années, en effet, les industriels affichent la volonté, après être allés chercher des matières premières agricoles un peu n’importe où pour des histoires de prix, de se tourner vers des productions agricoles de qualité, avec une bonne traçabilité… et donc françaises ! Notre appui se décline de différentes manières, et intervient notamment en sélection variétale. Il s’agit d’un des leviers les plus efficaces pour améliorer les teneurs en principes actifs des plantes. D’autres leviers existent, comme l’amélioration des itinéraires de culture et des procédés post-récoltes (comme le séchage, les méthodes de coupe, de broyage, etc.).

Expliquez-nous en quoi consiste cette sélection variétale.

Selon les espèces, la sélection variétale prend différentes formes. Tout commence par une phase de collecte et de caractérisation de la diversité existante. Cela consiste à évaluer, lors d’essais agronomiques, des populations naturelles ou des variétés collectées par notre partenaire, le Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles (CNPMAI). En effet, certaines plantes ont déjà bénéficié de sélection variétale, mais pour des objectifs différents. C’est le cas du thym, par exemple, dont des variétés ont été sélectionnées en horticulture et maraîchage sur l’aspect et la productivité en feuilles et que nous sélectionnons à notre tour pour leur teneur en huile essentielle. On se sert donc des informations disponibles sur les modes de culture, la productivité, la richesse en principes actifs, etc. Quand cette phase de caractérisation suffit pour choisir la meilleure variété, les producteurs peuvent demander à utiliser directement le matériel identifié, car les espèces qui ont déjà été travaillées pour d’autres applications sont souvent de qualité suffisante pour être mises en production telles que.

Que se passe-t-il autrement ?

S’ils pensent que nous devons aller plus loin, on poursuit les recherches en créant des variétés. Lorsqu’une plante, collectée jusque là par cueillette dans le milieu naturel, est mise en production, on parle de domestication, Il y a très souvent un travail à faire sur les caractéristiques agricoles afin de la rendre cultivable. Actuellement, on travaille sur l’Arnica. Des populations naturelles sont déjà cultivées par certains producteurs, mais ils éprouvent des difficultés dans leur itinéraire de culture. Après l’évaluation des populations naturelles qui a lieu cette année, on entrera, si nos adhérents en expriment le besoin, dans une phase de création variétale, en sélectionnant et en combinant les caractéristiques de différentes populations afin de créer une variété plus facile à produire, résistante aux différents stress et bénéficiant de la meilleure teneur en principes actifs.

Peut-on augmenter les teneurs en principes actifs dans les plantes ?

Les principes actifs sur lesquels on travaille sont coûteux à produire, car on les retrouve à de très faibles concentrations, de l’ordre du pourcent ou du pour mille, dans la matière végétale. Ainsi, améliorer de seulement quelques pourcents la teneur en principes actifs peut permettre des rendements en extraction supérieurs, et donc des marges plus élevées. On a la chance de travailler sur des plantes sur lesquelles rien, ou peu, n’a été fait, et qui détiennent de très fortes variabilités génétiques. Ce qui nous permet de réaliser des gains très importants avec des schémas de sélection simples et de courte durée, comme de doubler les teneurs en principes actifs, sur une seule génération de sélection ! Je me souviens d’un exemple particulièrement frappant concernant la digitale laineuse. Elle contient de la digitaline, un stimulant cardiaque. En cinq à six cycles seulement, on a réussi à multiplier par six la teneur en digitaline par rapport à celle de départ ! Les gains s’avèrent donc très importants par rapport à l’investissement. On travaille aussi sur la plante pour mécaniser certaines étapes de production. Peu de travaux ont jusque-là été réalisés sur les plantes qui appartiennent à notre domaine d’intérêt, car il n’y a pas de sélection variétale issue du secteur privé. Les marges de progrès sont donc rapidement très intéressantes et le retour sur investissement très rapide.

Des plantes sont-elles plus plébiscitées que d’autres ?

Nous avons créé une trentaine de variétés, issues d’une vingtaine d’espèces différentes. Outre ces espèces stratégiques, de nouvelles espèces sont très couramment à l’étude, car les industriels et les producteurs viennent nous voir pour des plantes qu’ils n’ont encore jamais travaillées. En effet, le secteur des plantes médicinales vit des évolutions très rapides. Certaines espèces très à la mode durant quelques années vont tomber dans l’oubli par la suite, car une autre espèce ayant les mêmes principes actifs, mais plus facile à produire, a été identifiée. Pour s’adapter à ces évolutions de marché, la programmation de nos activités de recherche est réalisée par nos adhérents, producteurs et industriels. C’est eux qui sont à même de nous dire si les espèces considérées sont d’un intérêt stratégique majeur ou si ce sont des marchés de niche. Dans le cas de la mélisse et de la valériane officinale, par exemple, ces marchés sont actuellement en augmentation, ce qui s’accompagne d’une demande des producteurs pour optimiser les itinéraires de culture afin d’assurer la compétitivité de la production française. Depuis de nombreuses années maintenant, on travaille sur les plantes à antioxydants qui sont très plébiscitées. La mélisse en contient énormément et, comparativement à l’artichaut et au brocoli, affiche des teneurs quatre fois supérieures. Néanmoins, leur consommation est différente : artichaut et brocolis peuvent être consommés en tant que légumes, mais les extraits de mélisse sont utilisés pour des utilisations plus qualitatives, sous forme d’extraits.
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