Quel est votre parcours ?
Ingénieur agronome de formation à l’ENSAIA de Nancy, j’ai tout d’abord travaillé dans la recherche, notamment à l’Inra du Rheu, avant de devenir professeur de mathématiques en lycée agricole. J’ai ensuite saisi plusieurs opportunités pour enseigner également l’agronomie et les productions végétales en BTS, en Mayenne puis en Auvergne et, depuis 2021, en Vendée, à l’École des Établières de la Roche-sur-Yon. Au fil des années, je me suis spécialisé dans l’adaptation aux changements, qu’ils soient climatiques, géopolitiques, sociétaux, énergétiques… c’est passionnant. L’objectif : partir de faits pour identifier les solutions à mettre en place. Cette problématique est en filigrane dans l’ensemble des cours.
Quelle est la spécificité de votre école ?
L’école des Établières accueille des élèves de la 4e au BTS, en passant par différents bacs pros, techniques et généraux. La spécificité des formations est axée sur l’agriculture, au sens large. Nous formons des futurs agriculteurs mais aussi des spécialistes de l’agronomie, de l’environnement, de l’eau, des productions végétales et animales, de la recherche… J’ai en charge le BTS agricole ACD pour agronomie et cultures durables, en alternance. Cette année, la promotion regroupait 10 élèves d’horizon très différents. Il y a les passionnés d’agriculture mais qui ne savent pas encore vers quel métier se tourner et des personnes parfois un peu plus âgées, en reconversion, qui souhaitent s’orienter vers une activité porteuse de sens. Très vite, elles se rendent compte qu’elles sont au bon endroit ! Mais cela nous demande à nous, enseignants, de nous adapter car elles n’ont pas les mêmes attentes que des élèves qui sortent de lycée. Nous nous devons de répondre aux besoins de chacun.
À quel moment la thématique des semences entre-t-elle dans la formation ?
Très tôt car pour un agriculteur, la semence, c’est la base. Je commence par expliquer les différents types de semences : les semences certifiées - certes un peu plus chères mais qui ont des caractéristiques bien précises-, les fermières -produites par les agriculteurs eux-mêmes -, les hybrides, les Vuirs (Variétés à usage industriel réservé), les plantes compagnes… J’enseigne également les différentes étapes nécessaires à la mise en marché d’une semence : de la sélection, à l’inscription en passant par la multiplication et le travail dans les usines de traitement. L’occasion aussi de présenter les différents organismes de contrôle : Geves, CTPS, et les exigences qui y sont liées. Apprendre qu’en moyenne, dix ans sont nécessaires pour mettre au point une variété permet de mieux comprendre la nécessité d’anticiper les critères de sélection. Aujourd’hui, tout le monde recherche des variétés plus résistantes au stress hydrique. Les chercheurs eux, y travaillent depuis déjà de nombreuses années. Même si les grandes cultures occupent une large partie des cours, nous parlons bien évidemment aussi des métiers de l’élevage. Et à ce titre, nous étudions les espèces fourragères et évoquons la valeur alimentaire des différentes espèces, les techniques de pâturage, d’enrubannage, de fanage…
Au cours de leur cursus, vos élèves rencontrent-ils des professionnels de la filière ?
Oui, dès que possible. Nous travaillons par exemple avec la chambre d’agriculture autour du projet Biodiv’Expé dont l’objectif est d’observer l’évolution de la biodiversité dans différentes fermes qui, progressivement, passent à l’agriculture de conservation des sols. Les élèves participent à ce changement de pratiques. L’objectif est aussi d’aller sur le terrain, rencontrer des professionnels du secteur des semences. C’est ainsi que chaque année, nous visitons les installations de la station de semences de la coopérative Cavac. L’occasion aussi d’évoquer avec eux le développement de nouvelles cultures, comme le chanvre, pour s’adapter au changement climatique mais aussi pour diversifier les sources de revenus des agriculteurs. Des espèces où le choix variétal reste limité.
Quels sont les autres sujets évoqués autour de la semence ?
Le dossier des OGM, interdits en France, est bien évidemment abordé, tout comme celui des NGT. Dans mes cours, j’essaie toujours de relier la pédagogie à des cas concrets où comment, pour lutter contre l’ambroisie ou le datura, deux plantes très invasives, le recours à des variétés résistantes peut, par exemple, s’avérer pertinent. Je cherche aussi à faire comprendre que s’adapter aux changements, c’est également prendre en compte les attentes des clients de l’aval. Pour un agriculteur, produire une céréale, c’est avant tout alimenter un débouché : pour la meunerie, la brasserie, la semoulerie, l’alimentation animale… En fonction de celui-ci, les caractéristiques recherchées (taux de protéines, PS, qualités boulangère ou nutritionnelle…) seront différentes et le choix variétal, à adapter.
Les semences apparaissent déjà comme une solution pour diminuer l’usage des produits phytosanitaires. Vos élèves en ont-ils conscience ?
Oui, car j’évoque régulièrement le sujet. Ou comment, je les aide à identifier les leviers d’action, qu’ils soient génétiques, agronomiques (rotation des cultures, date et profondeur de semis…), biologiques (auxiliaires de cultures, biosolutions…) ou techniques (travail du sol, écartement de semis…) pour répondre aux changements à venir. Même si j’espère que, dans 100 ans, le recours au chimique sera perçu comme un épisode anecdotique des 10 000 ans de l’histoire de l’agriculture, mon rôle n’est pas de leur donner mon point de vue mais bien de les amener à se questionner, à provoquer les débats pour que chacun développe son propre argumentaire. Je travaille d’ailleurs ce point avec mon collègue qui enseigne le français.
Avez-vous, au cours de votre carrière, vu évoluer le contenu des programmes ?
Oui effectivement, même si les programmes sont, il faut bien le reconnaître, toujours un peu en retard par rapport aux évolutions du terrain. À nous, professeurs, de nous tenir informés et de coller au plus près de la réalité. Donc, oui, je le reconnais, il m’arrive parfois de dévier un peu du « vrai » programme. Car notre rôle est de former les jeunes à ce que seront les métiers de demain et sûrement même à des métiers qui n’existent pas encore ! Nous devons leur prodiguer le maximum de compétences. Et honnêtement, je suis très optimiste pour l’avenir car les jeunes sont force de propositions. Ils ont de vrais talents !
Propos recueillis par Anne Gilet