Quel a été le cheminement de votre carrière ?
Alors que mes parents préparaient leur départ en retraite, personne ne souhaitait reprendre leur exploitation légumière. Moi, je travaillais près de Rennes comme architecte d’intérieur. Alors âgée de 40 ans, je ressentais de mon côté le besoin de donner un peu plus de sens à mon quotidien et surtout, j’étais très attachée à cette ferme familiale et à ce merveilleux cadre de vie en bord de mer, à Kerbors dans les Côtes-d’Armor. Alors, quand, par hasard, je découvre sur internet l’existence des plantes tinctoriales, une idée murit... doucement. Et puis un jour, tout en continuant mon activité d’architecte, je décide de suivre, à distance, un BPREA (Brevet professionnel responsable d’entreprise agricole) avec le projet de reprendre l’exploitation pour développer une nouvelle activité. En avril 2022, je m’installe. De 40 ha, la surface passe à 30 : 29 ha de céréales et 1 ha dédié aux plantes tinctoriales et à la production de fleurs séchées pour concocter des bouquets. Le tout certifié en agriculture biologique depuis mai 2023.
Qu’est-ce qui vous a plu dans ce projet ?
Le fait de créer et de s’occuper de tout : de la production des graines à celle des pigments, en passant par le travail au champ et l’aspect commercial pour démarcher des clients. Et finalement, avec cette nouvelle activité, je reste dans le monde de la couleur : un domaine qui était aussi au cœur de mon ancien métier. Avant de me lancer, j’ai beaucoup lu sur le sujet et j'ai échangé avec les quelques spécialistes de cette activité en France et en Belgique, peu nombreux à l’époque. Surtout, je me suis formée auprès de Michel Garcia, un passionné des couleurs végétales, installé à Faouët dans le Morbihan. C’est d’ailleurs lui qui m’a fourni mes premières graines de persicaire indigo. Je les ai semées sous serre avant de les replanter en plein champ pour, à mon tour, produire mes propres semences. Je me suis ensuite tournée vers des associations pour m’approvisionner en graines d’autres espèces.
Concrètement, quelles sont les étapes d’extraction des pigments ?
Tout dépend des plantes cultivées. Pour certaines, comme le bleu indigo, les pigments se trouvent dans les feuilles. Pour d’autres, il faut récolter les racines, les tiges ou les pétales. Le process pour extraire le bleu indigo est le plus complexe. C’est peut-être pour cela que cette couleur reste ma préférée. Pour fabriquer 10 g de pigments indigo, 100 g de feuilles de persicaire indigo sont nécessaires. Cette plante, de la famille des renouées, produit ce pigment dans la sève de ses feuilles quand elle est stressée, par le soleil notamment. En mars et avril, je sème les graines sous serre, à l’abri en pépinière, avant de les replanter en plein champ de mi-mai à fin juin. Puis démarre la coupe : de 3 à 4 jusqu’au mois d’octobre. Une fois les feuilles récoltées, elles sont infusées, telles une tisane, dans des bassines en béton. Le jus est oxygéné via une pompe. Suit alors l’étape de floculation (1) , avec de la chaux. Après décantation, l’indigo, tombé au fond de la cuve, est récupéré, nettoyé avec du vinaigre puis rincé et filtré plusieurs fois. Il est alors prêt à être commercialisé.
Et pour les autres plantes ?
Le processus de fabrication est plus simple. Pour la garance, qui donne un beau rouge, je récolte les racines de février à avril : une étape assez fastidieuse qui mériterait d’être mécanisée. J’y réfléchis ! Les racines sont ensuite nettoyées, séchées et broyées. Pour le réséda lutéola, qui produit un jaune très lumineux, ce sont les tiges florales qui sont récoltées. Quant au cosmos sulfureux, les pigments sont extraits des pétales. Au final, je suis occupée toute l’année. L’hiver, alors que les travaux au champ sont moins nombreux, je trie les plantes séchées et m’occupe des commandes : même si les livraisons ont lieu toute l’année.
Justement, qui sont vos clients ?
Le panel de mes clients est assez large : des artisans, professionnels ou amateurs, en quête de pigments végétaux pour teindre leurs tissus et des designers qui recherchent autre chose que des pigments synthétiques ou minéraux. Ils peuvent alors s’en servir pour colorer des peintures ou des fibres. Les ventes se font avant tout via mon site internet (www.livadenn.fr), en France mais aussi dans les pays voisins. Je participe aussi à différents salons tout au long de l’année pour faire connaître mon activité et présenter quelques pièces textiles que je teins moi-même.
Quelles sont les pistes d’évolution de votre activité ?
Je continue de tester de nouvelles variétés pour élargir mon offre de pigments. Aujourd’hui, j’en propose une quinzaine : du jaune à l’orange, en passant par le rouge et le bleu. En moyenne, je récolte 23 kg de pigments indigo, fabriqués à partir de 7 à 8 tonnes de feuilles de persicaire et près de 100 à 150 kg de plantes sèches pour les autres pigments. J’aimerais également être plus disponible en été pour accueillir les touristes, toujours très curieux de découvrir cette production, inconnue de beaucoup. Et bien évidemment, mon activité demande encore à se faire connaître auprès de possibles futurs clients.
Propos recueillis par Anne Gilet
(1) Floculation : processus physico-chimique au cours duquel des matières en suspension dans un liquide s'agglomèrent pour former des particules plus grosses, généralement très poreuses, nommées flocs.