Comment l'agriculture fait face au changement climatique ?

Serge Zaka, agroclimatologue

Serge Zaka, docteur en agroclimatologie, étudie l’impact du changement climatique sur l’agriculture chez ITK, une entreprise qui propose des solutions AgTech aux agriculteurs, leur permettant de s’adapter à l’évolution climatique.

“L’agriculture intelligente prend en compte les contraintes environnementales, sociétales et économiques en posant de la science dans le débat.” Serge Zaka

Y a-t-il plus de sécheresses aujourd’hui en France ?

Entre 1959 et 2000, il y a eu une augmentation légère des pluies dans le Nord et une baisse légère dans le Sud. Globalement, les précipitations sont stables en France. Et pourtant, on note une hausse des surfaces en sécheresse, parce que la saisonnalité des précipitations a changé. Il pleut plus en hiver et moins en été. Or l’agriculture a besoin d’eau au printemps et en été. De plus, les précipitations sont plus intenses, sur de courtes durées. Le sol n’a pas le temps d’absorber l’eau. La conséquence, c’est que le nombre de pluies efficaces diminue. Troisième constat, pour résister, les plantes augmentent leur évapotranspiration et accroissent donc leur besoin en eau. Les records d indice d humidité des sols d aujourd hui seront les moyennes de 2100.

Qu’en est-il des températures ?

Les hivers sont plus doux, les végétaux démarrent en avance au printemps et quand le gel arrive en avril, ils sont plus sensibles. La température moyenne annuelle française a augmenté de 1,5 degré depuis 1900. Le nombre de jours à plus de 25 degrés a doublé en 60 ans et va doubler de nouveau d’ici 2100. Les climats méditerranéens et aquitains vont remonter vers le Nord. Les jours caniculaires, à plus de 35 degrés, sont dix fois plus nombreux que sur la période 1969 - 2000 dans le sud de la France. Les conséquences sur l’agriculture sont énormes ! Les espèces vont migrer vers le Nord. Dans le Sud, la vigne pourrait laisser place aux agrumes et aux oliviers changeant le paysage agricole.

Quelles sont les conséquences pour les animaux d’élevage, et quelles solutions ?

Les animaux sont en stress thermique. En 2100, le nombre de jours de stress faible sera multiplié par deux et celui de stress modéré par trois. Cela impactera leur bien-être et leur productivité. Des stress sévères et mortels pourront survenir dans le Sud et le Nord-Est. A l’avenir, il faudra concevoir des bâtiments d’élevage plus ventilés et apporter l’alimentation aux heures les plus fraîches.

Y a-t-il un risque pour les fourrages ?

La production fourragère est stable sur l’année mais elle est plus abondante au printemps et plus faible en été. Les éleveurs doivent donc stocker du fourrage pour le redistribuer en été. Une des solutions est de recourir à des mélanges d’espèces prairiales comprenant des plantes capables de produire au printemps et d’autres en été. Le sorgho est aussi une plante résistante qui peut supplanter le maïs.

Quel constat faites-vous pour les grandes cultures ?

Depuis les années 2000, le rendement en blé n’augmente plus. Le gain potentiel dû au progrès est gommé par les effets du changement climatique. Le déficit hydrique et les fortes températures interviennent à des périodes clés pour l’élaboration du grain. Demain, les rendements en blé risquent donc de diminuer. En pois protéagineux, on a déjà perdu 20% de rendement entre 1990 et 2000 dans le Nord-Est. La stratégie d’esquive est de choisir des variétés plus précoces qui seront mûres plus tôt et échapperont aux chaleurs de juin. Il faudra aussi recourir à des espèces plus résistantes à la sécheresse comme l’orge, le millet, le sorgho. L’agroforesterie est une solution pour tempérer le climat dans les parcelles. Et l’agriculture de conservation permet de régénérer des sols vivants capables de stocker plus d’eau et de carbone.

Les vergers et les vignobles sont-ils plus résistants ?

En 2021 et 2022, les dégâts de gel d’avril ont été très importants pour les jeunes pousses des fruitiers et des vignes. Le 28 juin 2019, on a constaté pour la première fois en France, une sécheresse éclair dans l’Hérault. 46 degrés, un mistral de 40 km/h et une humidité de l’air de 8%. Les plantes ont grillé en quelques heures. Ces épisodes difficilement prévisibles vont se reproduire. En vigne, il faut revoir le cahier des charges des AOC pour assouplir la conduite culturale, pouvoir introduire de nouveaux cépages ou encore irriguer. Il faut aussi s’équiper de moyens de lutte contre le gel et protéger les sols.

Quels sont vos travaux sur le sujet ?

L’agriculture intelligente et connectée permet via des modèles de prévision, d’anticiper les risques de gel, de mieux piloter l’irrigation, de mesurer le bien-être des animaux, de prévoir les événements climatiques et donc de pouvoir agir pour atténuer les dégâts. Mais ce n’est qu’un levier qu’il faut actionner de concert avec les autres moyens que sont la génétique, l’agronomie, le machinisme, le stockage de l’eau, etc. La solution n’est pas unique.

Propos recueillis par Sabine Huet

 

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