Produire des semences hybrides de blé, une affaire de spécialistes

De tout temps, l’homme a croisé des plantes pour trouver des variétés plus performantes. Le blé a ainsi fait l’objet d’améliorations continues, notamment pour créer des variétés hybrides, plus vigoureuses. Le blé se reproduit naturellement par autofécondation. Croiser des plantes pour produire des hybrides a donc constitué un challenge technique. On vous explique tout. 

Les parents mâles et femelles sont semés en bandes alternées ©Sabine Huet

Les blés tendres cultivés en France sont essentiellement des variétés lignées. D’un point de vue génétique, cela signifie que les plantes sont stables et que leur descendance leur ressemble en tous points.

Les variétés lignées sont obtenues par sélection généalogique après plusieurs générations d’autofécondation. 

Ce n'est qu'à partir des années 80 que les premiers hybrides de blé ont été mis à la disposition des agriculteurs. Et cela n'a pas été une mince affaire pour les sélectionneurs ! En effet, le blé, espèce autogame, s’autoféconde naturellement car, au sein d’une même fleur, se trouvent les organes mâles et femelles. Le blé est même cléistogame, c’est-à-dire qu’il s’autopollinise à l’intérieur de la fleur close. Plus précisément, le pollen est libéré avant que les étamines ne sortent de la fleur et donc il féconde le pistil en vase clos.

Difficile dans cette configuration d’imaginer l'existence de variétés hybrides, issues d’un croisement de deux parents ! On compte pourtant 28 variétés de blés hybrides inscrites au Catalogue officiel français.

L’effet hétérosis

Croiser deux lignées parentales permet de bénéficier de ce que l’on appelle l’effet « hétérosis », c’est-à-dire une vigueur plus importante liée au croisement. Chez le blé hybride, celui-ci s’exprime par des rendements de “10 à 15% supérieurs aux parents et une stabilité des performances accrue en terres superficielles ou irrégulières”, avance Guillaume Cazier, responsable production chez Asur Plant Breeding, le semencier français à l'origine des variétés hybrides. “Ce sont des plantes rustiques qui résistent au stress hydrique grâce à une forte densité racinaire.” Les hybrides combinent des tolérances aux maladies, ce qui sécurise la production dans des contextes difficiles comme la culture d’un blé après un autre blé ou après un maïs. Autre avantage, leur importante biomasse végétale est appréciée des éleveurs qui récoltent plus de paille.

Des semences high tech

Pour produire des semences de blé hybride, les parents sont semés en bandes alternées, 6 à 8 mètres pour les futures femelles et 3 à 4 mètres pour les futurs mâles. La parcelle est entourée d’une bande mâle. La densité de semis des femelles est augmentée pour obtenir des plantes bien homogènes. À l’inverse, celle des mâles est diminuée pour favoriser les écarts de stade et donc l’émission du pollen sur plusieurs jours. Les lignées parentales doivent remplir certaines conditions : une floraison simultanée et un mâle plus haut que la femelle pour avantager la circulation du pollen entre les bandes. Autre point, “on veille à éviter tout stress dans les parcelles pour obtenir des plantes dans les meilleures conditions possibles”. Courant avril, l’agriculteur multiplicateur pulvérise sur les bandes femelles un produit stérilisant qui bloque la formation du pollen. “C’est une opération délicate, il faut intervenir au bon stade et dans la bonne fenêtre météo.” Un mois plus tard, les fleurs des plantes femelles (mâle stériles) s’ouvrent et les stigmates du pistil se déploient pour réceptionner le pollen provenant du parent mâle. Si la fécondation croisée est réussie, les grains hybrides se forment sur la plante femelle. “Du vent, de la luminosité et des températures modérées sont les conditions idéales à la floraison.” Pour améliorer la fécondation, le semencier développe une machine capable d’aspirer le pollen dans les bandes mâles et de le souffler sur les femelles.

Le verdict

S’ensuit la phase de tests pour vérifier le taux d’hybridité des grains. Ils s’effectuent soit au champ, par comptage des grains sur des épis placés sous des sacs anti pollen posés après la stérilisation (il ne doit pas y avoir de grains) , soit par analyse d’ADN des grains en laboratoire. “Au-delà de 10% d’autofécondation, la parcelle est refusée et ne sera pas récoltée pour la semence. Nous assurons une pureté hybride maximale.” Pour limiter les risques de mauvaise stérilisation ou de déficit de fécondation, la production de semences est répartie dans plusieurs régions et sur plusieurs variétés. “Nous prévoyons toujours d’avoir du stock de semences en cas de mauvaise production sur une année.” La récolte des grains hybrides et des bandes mâles s’effectue séparément. “L’idéal est de récolter avec deux moissonneuses qui se suivent dans le champ.” Les grains issus des bandes mâles sont valorisés en blé de consommation.

La production de semences de blé hybride représente donc un défi technique relevé avec succès par des semenciers et des agriculteurs spécialisés. 

Sabine Huet

Les semences de blé hybride sont réputées être chères. Les coûts de production sont en effet plus élevés qu’en multiplication de lignées pour lesquelles la parcelle entière est récoltée en semences. En blé hybride, seule 56% de la surface est dédiée aux bandes femelles. De plus, les rendements en semences sont moindres du fait des aléas de stérilisation et de fécondation. “On avoisine les 25 q/ha contre 80 à 100 q/ha pour les lignées”, explique Guillaume Cazier. Le surcoût de semences pour l’agriculteur producteur de blé de consommation est toutefois limité, environ 50 euros/ha, car la densité de semis est réduite à 2,5 doses (de 500 000 grains) au lieu de 5 à 6 doses pour des variétés lignées. “Ce surcoût qui équivaut à 2-3 quintaux à la récolte est compensé par un gain de rendement entre 5 et 10 q/ha et surtout une résilience de la culture face aux risques de l’année. C’est un peu une assurance récolte.

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