Est-ce que notre planète pourra nourrir 9 milliards d’humains en 2050 comme le prévoient les démographes ?
A l’initiative de l’Inra et du Cirad, des experts, d’origines et de disciplines multiples, se sont mobilisés dans une démarche prospective (Agrimonde). Dans les deux scénarios considérés, l’un tendanciel, l’autre de rupture, nourrir la planète en 2050 apparaît possible. Mais alors que le scénario tendanciel qui mise sur la seule croissance économique le permet avec des risques de creusement des inégalités sociales et de dégradation environnementale, le scénario de rupture montre que cela pourrait se faire dans le cadre d’un développement durable.
Il s’agit de s’orienter vers une agriculture plus productive, économe en ressources naturelles et un système alimentaire plus équitable. Pour cela, il est nécessaire d’augmenter significativement les investissements en recherche et développement et en formation dans l’agriculture et l’agroalimentaire, et, notamment, ne pas rejeter a priori la solution des biotechnologies pour relever le défi de mieux nourrir 2 milliards d’hommes qui n’ont pas accès au droit à l’alimentation.
Il est vital d’imaginer un système alimentaire capable de contribuer à la fois à un objectif de santé publique et de développement socio-économique des territoires.
A quoi peut ressembler ce système alimentaire alternatif ?
C’est un modèle fondé sur la proximité, des filières courtes, des réseaux de micro-entreprises et de PME, la solidarité entre producteurs et consommateurs. Le modèle de proximité doit répondre à deux défis. D’abord fabriquer des aliments de qualité « totale » (
organoleptique, nutritionnelle et culturelle), à des prix abordables. Ensuite faire évoluer le comportement du consommateur qui devra modifier sa gestion du temps et ses priorités d’achat.
Un tel système de proximité permettrait de corriger en partie les dérives du modèle dominant. Après la violente crise de 2008, une majorité de chercheurs est convaincue qu’on ne peut laisser le seul marché traiter la question alimentaire. L’alimentation reste la base de la sécurité physique et psychologique et, donc, de la stabilité politique, à la fois nationale et internationale. Les gouvernements doivent enfin prendre conscience que le système alimentaire ne peut se gérer de la même façon que l’automobile ou le textile.
Voyez-vous une contradiction entre une agriculture nourricière et une agriculture productrice d’énergie et de matières premières pour l’industrie ?
D’ici à 2050, il va falloir augmenter de 70% la production agricole mondiale, ce qui ne sera pas simple si les terres à vocation alimentaire entrent en compétition avec celles destinées aux agrocarburants et à la chimie verte.
Mais la situation diffère selon les pays. Au Brésil par exemple, il reste encore 100 millions d’hectares à mettre en valeur. Produire des biocarburants ne pose aucun problème dans ce pays. Mais en Afrique et en Asie notamment, il faut donner la priorité absolue à la sécurité alimentaire. Pour l’Europe, le secteur agroalimentaire est également stratégique dans un contexte de mondialisation.
Vous êtes à l’origine de la création à Montpellier SupAgro d’une Chaire en alimentations du monde labellisée par l’Unesco. Quelle est votre ambition ?
L’objectif de cette Chaire est de contribuer à la construction de systèmes alimentaires plus durables dans le monde. Nous souhaitons faciliter les partenariats entre institutions d'enseignement supérieur et de recherche en France et dans le monde, notamment dans les pays méditerranéens.
Cette nouvelle chaire travaillera en étroite collaboration avec la chaire Unesco « Sauvegarde et valorisation des patrimoines culturels alimentaires », récemment créée à l'Université François Rabelais de Tours. Labellisée par l’Unesco en mai 2011, la Chaire a pu débuter ses activités en septembre 2011 grâce au soutien actif d’Agropolis Fondation.
Quel est l’intérêt d’avoir fait labelliser cette chaire par l’Unesco ?
Les Chaires labellisées Unesco bénéficient d’une promotion internationale permettant d’attirer des scientifiques et des étudiants de nombreux pays. L’autre intérêt est d’être sur la carte mondiale des centres de recherche et d’enseignement supérieur. C’est très stimulant pour les enseignants et chercheurs.»
*Jean-Louis Rastoin a été expert de coopération internationale au Brésil, directeur de département au Centre international de recherche agronomique pour le développement (Cirad), puis fondateur et directeur de l’unité mixte de recherche Marchés, organisations, institutions et stratégies d’acteurs (Moisa) à Montpellier SupAgro. Il a rédigé avec Gérard Ghersi un ouvrage sur le système alimentaire mondial (Editions Quae, 2010).