Comment produire de la biomasse à but énergétique en préservant l'environnement ?

Elise Pelzer - chercheur à l’unité mixte de recherche Agronomie Inra-AgroParisTech

Pourquoi travaillez-vous sur l’association graminées/légumineuses ?

Elise Pelzer - chercheur à l’unité mixte de recherche Agronomie Inra-AgroParisTech
Quand on a voulu tout exploiter dans les graminées, et donc produire de la biomasse avec leurs pailles, on s’est vite rendu compte que l’utilisation de l’azote minéral plombait les bilans énergétiques. Car sa production est très coûteuse en énergie et il émet énormément de N2O durant l’épandage (le pouvoir de réchauffement du N2O est 150 fois supérieur à celui du CO2). On émettait donc autant de CO2 à planter les graminées qu’on en gagnait par la suite ! Dès lors, associer une légumineuse pérenne à ces graminées est apparu comme une solution écologique. La raison : comme elles enrichissent naturellement le sol en azote, elles améliorent le bilan de gaz à effet de serre (GES) des graminées. Cette solution permet in fine de réduire leur impact environnemental, tout en maintenant de bons rendements.

Comment fonctionnent ces associations ?

Leur principe : produire une biomasse importante tout en dépensant moins en engrais azoté. Comme ce principe fonctionne pour les fourrages, nous avons inséré des cultures annuelles dans des rotations classiques, qui étaient vouées à produire de l’alimentation animale. D’après nos premiers résultats, sans ajouter d’azote, on produit autant de biomasse grâce à l’introduction de la légumineuse. Et sa qualité est satisfaisante pour utiliser la plante entière dans les biocarburants de deuxième génération.

Pouvez-vous nous citer des associations gagnantes ?

Certaines associations fonctionnent très bien, comme celle du pois et du triticale. Ils se récoltent ensemble, avec un rendement et une qualité au rendez-vous, et le savoir-faire nécessaire à leur production est facile à acquérir. Ce duo sera donc probablement le plus simple à mettre en place. D’autres associations sont également intéressantes, bien que plus difficiles à conduire. C’est le cas du couple luzerne/graminées. L’agriculteur doit posséder un certain savoir-faire, car il doit maintenir à parts égales les deux espèces dans le peuplement. En revanche, certaines associations nécessitent deux passages au semis ou à la récolte, ce qui génère une rentabilité finale plus basse. A ce jour, nous n’avons néanmoins aucune idée de l’association qui sera privilégiée pour produire de la biomasse : insérera-t-on un pois (culture qui se pratique trois années de suite) ou de la luzerne (annuelle) avec les graminées ? Comme aucune valorisation concrète n’existe encore dans le champ de la bioénergie, il nous est impossible d’envisager clairement comment l’agriculteur va choisir ses semences. J’aurais tendance à dire que l’option triticale/pois me semble la plus applicable. Mais cela reste très exploratoire.

Quels rendements obtenez-vous ? Sur quelles surfaces les cultiver ?

Quand le triticale est en association avec une légumineuse, on obtient environ 10 tonnes de matière sèche en rendement machine, sans apport d’azote. Sur des associations luzerne/graminées, qui génèrent trois fauches par an, on peut parler d’environ 15 tonnes par an, toujours sans azote. Ce qui fait peu de différence avec un apport d’azote. Pour information, le miscanthus seul produit 15 à 20 tonnes. Le choix entre l’insertion d’un miscanthus ou d’une association ne se fait pas uniquement sur un critère de rendement qui, pour moi, est du pareil au même. En effet, il peut être intéressant de mettre en place une culture de miscanthus pendant quinze ans, avec des rendements qui évoluent (c’est-à-dire plus faibles les 3-4 premières années puis de nouveaux plus faibles à partir de 15 ans) sur une parcelle éloignée. Cela lui permet de valoriser cette parcelle tout en s’épargnant du temps d’activité et des transports. Mais ce choix implique une prise de risque et un engagement sur 15 ans. L’agriculteur peut faire un autre choix, comme celui de diversifier ses cultures, et donc ses sources de revenus, tout en réalisant une économie d’azote, grâce à la mise en place d’une association graminées/légumineuses. On n’a pas encore fait d’études sur l’impact des sols en terme de rendement. Mais c’est un critère crucial à étudier. Une thèse se finit actuellement sur des plantations de miscanthus en Bourgogne : elle a examiné les variations de productivité en fonction de la profondeur du sol et de la pluviométrie.

Quelles conditions faut-il réunir pour que la production de biomasse soit une réussite ?

Ce questionnement est tout récent, contrairement aux cultures de première génération. Il met en cause de nouvelles plantes, de nouvelles industries, avec un probable bouleversement de l’organisation actuelle. On ne sait pas encore comment se feront les adaptations en termes de surface, comment assurer un approvisionnement continu en biomasse, dotée d’une qualité régulière, aux usines de transformation… qui n’existent pas encore ! Il manque actuellement tout l’aval, car le biocarburant lignocellulosique n’appartient pas encore à une filière validée. C’est pourquoi le projet Futurol teste actuellement la faisabilité de production de ce type de biocarburant, à grande échelle, dans un bassin d’approvisionnement local. De son côté, l'agriculteur devra réfléchir à l’organisation de ses parcelles et à celle de son investissement. Car on n’implante pas de la même manière du miscanthus pendant quinze à vingt ans sur une parcelle, et une culture d’association qui durera un à deux ans.

Comment intervient la sélection variétale dans cette volonté de produire de la biomasse ?

A l’heure actuelle, on compare plus les espèces que les variétés ! C’est pourquoi la sélection variétale interviendra probablement dans un second temps, qui vient tout juste de commencer. En témoigne un projet qui a été lancé sur la variabilité génétique des cultures de miscanthus et de sorgho. Mais avant d’atteindre cette étape là, il faut auparavant quitter le marché de niche, pour que l’investissement nécessaire pour adapter les plantes aux conditions de culture vaille le coup. Concernant mes propres expérimentations sur les cultures fourragères, j’ai choisi les variétés détenant les meilleurs critères en terme de biomasse dans la littérature. Et, pour le sorgho fibres, sachant que moins de cinq variétés existent sur le marché, j’ai opté pour celle utilisée dans le projet REGIX, ce qui me permet d’avoir des points de comparaison.

Quand on viendra à la sélection variétale, quels critères seront retenus ?

Je sens émerger un intérêt nouveau sur des variétés à paille, bien qu’aucun travail spécifique n’ait été publié sur le sujet. Avec la nouvelle donne de la biomasse, on n’utilise plus les mêmes parties de la plante. Ce qui soulève des problèmes de qualité. Jusqu’alors, on a cherché à sélectionner des grains céréaliers très riches en azote, mais les pailles également riches en azote posent des problèmes en terme de transformation. Car, pour faire du biocarburant lignocellulosique, la cellulose doit être accessible. Mieux vaut donc avoir peu de lignine, de composés secondaires comme le soufre, et de minéraux car ils génèrent des cendres lors de la combustion. On pourrait donc se mettre à chercher des pailles peu riches en azote ! Ce qui laisse à penser que, si on veut optimiser les transformations, il va falloir cibler les utilisations. En effet, si on ne choisit pas avec précision les éléments capables de rendre efficaces les processus de transformation, ça ne sera pas rentable. Comme la biodiversité de biomasse ne permet pas d’optimiser un process, on risque de voir une spécialisation émerger… Finie l’idée initiale selon laquelle on pourrait tout utiliser toutes les parties de la plante de la même manière ! A chaque duo espèce/variété, correspondra une utilisation précise.

Y’a-t-il d’autres voies de production de biomasse, en dehors des céréales ?

Oui. Depuis 2006, le réseau Agroimpact travaille sur la production de miscanthus. Ils le comparent avec le switchgrass, le taillis de saules, la luzerne, la fétuque, le triticale et le sorgho fibre, en effectuant un suivi multicritères. Ils évaluent à la fois les performances productives (rendement en biomasse), la qualité des produits finaux et les aspects environnementaux (émission de GES, CO2, etc.). Ces cultures sont également testées sur différentes parcelles en France, pour évaluer l’impact de différentes conditions pédoclimatiques, ce qui a fait l’objet du projet REGIX. Ce projet a évolué en LIGNOGUIDE, qui suit un nombre d’espèces restreint.

Certains soulèvent le problème de l’épuisement des sols si on exporte la matière organique pour un usage énergétique : comment le solutionner ?

On analyse ce sujet en ce moment-même. On essaie de voir à quel stade on épuise le sol, et comment l’éviter. Dans le monde céréalier, la pratique courante consiste à enfouir les pailles. C’est donc un véritable problème ! On ne dispose pas de la solution, mais on étudie la question. De mon côté, j’estime qu’il faudra trouver un juste milieu, et ne pas tout baser sur le rendement. En effet, des solutions alternatives existent pour ne pas épuiser le sol. Dans le cas du miscanthus, par exemple, on sait que si l'on fauche à l’automne, on ne permettra pas aux rhizomes de recycler l’azote. En revanche, si l'on fauche au printemps, on perd certes un peu de biomasse, mais le rhizome pourra alors recycler l’azote et maintenir de la matière organique dans le sol. Il est également possible, dans le cas d’une culture annuelle, de mettre en place une culture intermédiaire après sa récolte qui permettra de récupérer de l’azote.
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