Quelles évolutions pour le marché de la chimie du végétal ?

Jean-Luc Pelletier - Délégué général de l'USIPA

La chimie du végétal va-t-elle permettre aux plantes de prendre le dessus sur les ressources fossiles ?

Jean-Luc Pelletier - Délégué général de l'USIPA
La chimie verte se développe actuellement et va poursuivre ce développement dans les années à venir pour plusieurs raisons : besoin de diversifier les sources d’approvisionnement, crainte d’une raréfaction des ressources pétrolières, angoisse du renchérissement du prix du pétrole, etc. Les bioproduits issus de la chimie du végétal anticipent donc actuellement la demande future et leur prix demeure plus élevé que les produits issus du pétrole. Nous nous situons donc encore au début du développement des bioproduits, associé à une amélioration constante des procédés et à la mise en place de nouveaux produits. Néanmoins, les volumes demeurent très faibles aujourd’hui, même si leur concept et leur utilisation sont très anciens (faire de la colle avec de l’amidon remonte à l’Antiquité !).

Quelle évolution sentez-vous pour le marché de la chimie du végétal ?

Je prévois, non pas un basculement, mais une montée en puissance progressive de la chimie du végétal. Nous sommes désormais appelés à entrer dans une nouvelle période : la chimie ne va pas abandonner le pétrole, ni le substituer entièrement avec le végétal. Il est clair à mes yeux qu’on ne remplacera jamais le pétrole en totalité d’ici 2050. Ce n’est donc pas demain qu’on assistera à la transition du « tout végétal » en lieu et place du « tout pétrole ». La raison ? Le végétal demeure plus cher que le pétrole et, avec la récente stabilisation du prix du baril, cette situation n’est pas appelée à changer dans l’immédiat.

Faudra-t-il sélectionner certaines variétés de plantes pour faire face à ces nouveaux usages ?

Je ne le pense pas. Car on ne réfléchit pas d’abord à changer les plantes, mais à les utiliser pour ce qu’elles nous proposent. Et ce n’est qu’après avoir amélioré les procédés de fabrication/transformation qu’on se pose la question de savoir s’il serait intéressant ou non de les améliorer. Je tiens à rappeler que le marché des bioproduits va se développer dans les prochaines années, mais que ces produits sont anciens. Il y a toujours eu une chimie des produits amylacés ou oléagineux. Alors certes, la demande va augmenter et la recherche va s’appliquer à trouver de nouveaux débouchés, mais le besoin d’adapter les plantes ne sera pas obligatoirement concomitant à cette évolution. Dans le cas de l’amidonnier, il va extraire des plantes l’amidon, mais également les protéines, la cellulose et les germes. Il n’aura donc pas besoin de plantes plus riches en protéines ou en amidon. Car ce qu’il va gagner d’un côté, il risque de le perdre de l’autre….

Quelles seront donc les attentes envers les plantes ?

Le monde de la chimie du végétal voit se profiler la mise en place d’unités industrielles, appelées bioraffineries, qui valoriseront tous les constituants de la plante et serviront les marchés alimentaires, énergétiques et industriels. Je n’imagine donc pas une bioraffinerie s’adaptant à un seul de ces bio-débouchés, mais bien à l’ensemble des potentialités du marché. Elle essayera donc d’exploiter une variété de plant de blé, de maïs ou de tournesol standard, mais dotée d’une bonne productivité, économe en intrants, compétitive par rapport au pétrole, respectueuse de l’environnement, résistante à la sécheresse, et dont la production sera régulière et pérenne. A l’aube d’un développement important de la chimie du végétal, même si elle ne remplace pas tous les dérivés du pétrole, elle se positionnera là où le végétal aura un véritable intérêt, à savoir notamment la valorisation en un seul lieu de tous les composants, et donc toutes les parties, de la plante.

La chimie verte entre-t-elle en concurrence avec les usages alimentaires ?

Non. Dans les vingt à trente années à venir, il va y avoir une explosion de la demande alimentaire et non alimentaire. Nous allons avoir besoin de variétés plus productives, pour produire plus et mieux, à cause de l’urbanisation galopante, de la demande croissante en viande, etc. Mais les bioproduits seuls ne vont pas faire augmenter la demande de productivité. Il s’agira donc davantage d’améliorer le rendement des plantes pour servir tous ces débouchés, et s’assurer qu’elles sont adaptées aux procédés industriels, plutôt que de sélectionner une plante pour un seul de ses usages.

Comment percevez-vous les attentes des consommateurs ?

Les industriels et le grand public démontrent un accueil plutôt positif envers les bioproduits. Mais leur prix demeure élevé : ainsi, les sacs plastiques biodégradables s’avèrent plus chers que les films plastiques fabriqués à partir de pétrole. Il faut donc accompagner le développement de ces bioproduits avec un discours adapté, et mettre en avant des symboles de reconnaissance pour les valoriser. Dans cette optique, nous travaillons à la mise en place d’indicateurs qui permettront d’afficher sur le bioproduit : « Il y a 20 % de végétal dans mon produit. » Car il n’existe pas aujourd’hui de moyen de prouver à un consommateur intéressé qu’un produit est fabriqué à partir de végétal. Si les produits sont labellisés, et ce de manière visible, le consommateur sera alors peut-être prêt à franchir la barrière du prix sur les marchés qui l’interpellent.

Les bioproduits s’inscrivent-ils en substitution des produits pétroliers ou sur des usages totalement nouveaux ?

A l’heure actuelle, ils se positionnent davantage en substitution. Car il faut beaucoup de recherche et de développement pour améliorer les propriétés intrinsèques des produits d’origine végétale, et les rendre plus performants que les produits pétroliers. Ces derniers ont bénéficié d’énormément de recherches après-guerre, dont le coût a été amorti étant donné l’usage. En termes de substitution, on peut citer l’exemple de l’acide succénique, actuellement fait à partir du pétrole mais qui, à terme, sera fait à partir du végétal par une substitution pure et simple grâce à l’industrie de fermentation. Autre cas : celui des polyéthylènes verts dans les bouteilles, produits à partir de sucres au lieu de pétrole, qui se développent fortement au Brésil. Citons également les fibres textiles végétales qui détiennent les mêmes qualités intrinsèques qu’une fibre faite avec du pétrole.
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