Sélection du blé dur : essayer de répondre à toutes les attentes

Franck Lacoudre - Sélectionneur blé - Limagrain Europe

En quoi consiste votre métier et qu’est-ce qui vous plaît le plus ?

Franck Lacoudre - Sélectionneur blé - Limagrain Europe
Le métier de sélectionneur consiste à créer de nouvelles variétés. C’est beaucoup moins simple qu’il n’y paraît, car nous devons répondre à de multiples attentes : - Celles des agriculteurs concernent évidemment les performances agronomiques, principalement le rendement et la résistance aux maladies. - Le blé dur est entièrement utilisé pour l’alimentation humaine donc la qualité des variétés doit être optimale. Notre travail se fait aussi en relation avec l’industrie (les semouliers et les pastiers), qui ont des besoins particuliers en termes de qualités technologiques et alimentaires, comme l’indice de jaune. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la couleur jaune n’est pas due à la présence d’œufs mais au blé dur lui-même, qui contient des béta-carotènes. De nombreux travaux portent aussi sur les teneurs en protéines et la qualité du gluten afin de fournir des pâtes qui tiennent bien à la cuisson et à la sur-cuisson. Il existe aussi de plus en plus de contraintes concernant la sécurité alimentaire : il faut limiter la présence des mycotoxines (liées à la fusariose) et des métaux lourds (comme le cadmium) dans les grains de blé dur. - Quant aux organismes stockeurs, ils regardent aussi de près le poids spécifique. Il faut constamment jongler avec ces attentes nombreuses et essayer de répondre à toutes les demandes, parfois contradictoires (bon rendement et une bonne teneur en protéine par exemple), pour essayer de trouver des variétés adaptées au maximum aux membres de la filière du blé dur. Il faut dix ans pour créer une nouvelle variété. Tout ceci est très intéressant et fait de ce métier une activité passionnante.

Pourquoi les anciennes variétés sont-elles intéressantes dans votre travail ?

Nous avons de plus en plus recours aux espèces et aux variétés très anciennes (Dicocoïdes, Carthlicum, Polonicum, Dicocum) pour améliorer les variétés cultivées. Elles constituent une grande source de variabilité génétique, mais présentent de nombreux caractères défavorables : rachis cassants, plantes très hautes, variétés tardives, grains vêtus. Elles sont très intéressantes pour nous car elles présentent une bonne résistance aux maladies comme la fusariose ou les mosaïques. Cependant, le travail pour les croiser avec des variétés récentes est extrêmement long.

Quelles sont vos « sources » pour l’amélioration du blé dur (collections, réseaux, échanges) ? Quel rôle jouez-vous pour préserver la biodiversité existante ?

La première et majoritaire source de géniteurs est le matériel génétique propre à chaque sélectionneur (soit inscrit, soit en cours de sélection). Pour les céréales à paille, nous avons la chance de pouvoir utiliser les variétés inscrites au catalogue des autres entreprises. Une autre source de variabilité génétique vient de collaborations nationales : exemple du GIE blé dur. C’est un « GIE Recherche » qui regroupe les sélectionneurs, l’INRA, Arvalis-Institut du végétal et les industriels. Nous déposons des projets financés par le ministère de l’agriculture (un de ces projets est actuellement en cours sur la fusariose, deux autres sur la qualité des blés durs, un dernier sur la septoriose). Cette mise en commun du travail nous permet d’avancer plus vite. Tout le monde y trouve son intérêt. Les meilleures lignées qui sortent ensuite de ces programmes sont utilisées par les sélectionneurs. Nous collaborons aussi avec des entreprises ou des universités étrangères, comme le CIMMYT (organisme mexicain), qui possède un matériel génétique intéressant et accessible à l’ensemble des sélectionneurs. Chaque sélectionneur privé, ainsi que l’INRA, a des collections qui sont multipliées tous les ans, dans l’intérêt même de l’amélioration végétale. L’INRA de Clermont Ferrand conserve précieusement, quant à lui, l’ensemble des variétés de blé dur.

Quels sont les principaux objectifs de sélection pour cette espèce, que ce soit en termes agronomiques ou alimentaires ?

En termes agronomiques, le premier objectif est le rendement. La résistance aux maladies est primordiale : rouille brune et septoriose (sur le feuillage), fusariose (sur l’épi), mosaïque des céréales et des stries en fuseaux du blé, problème de nématodes, etc. Le blé dur est plus sensible aux maladies que le blé tendre, de par sa structure génétique. Les travaux d’amélioration concernent aussi, dans une moindre mesure, la tolérance à la sécheresse. En ce qui concerne la qualité alimentaire, pour les pâtes et la semoule, l’attente première des consommateurs français est l’indice de jaune. Depuis quelques années, les variétés de blé dur françaises sont d’ailleurs reconnues pour être parmi les plus jaunes du monde. De plus, la teneur en protéines, la teneur en gluten et la qualité du gluten déterminent la bonne tenue à la cuisson et à la sur-cuisson. Le rendement semoulier est évidemment très important. Enfin, certains blés durs servent aujourd’hui à faire du pain, à la mie plus jaune, et dont la conservation est plus longue.

Combien existe-t-il aujourd’hui de variétés de blé dur ?

Une petite cinquantaine de variétés sont cultivées dans le Sud et le Centre-Ouest de la France. Une centaine de variétés sont inscrites au Catalogue français.
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