Il nous faut des oreilles, des yeux… et des neurones

Jacques Foucault - Responsable du développement maïs - LIMAGRAIN EUROPE

Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier ?

Jacques Foucault - Responsable du développement maïs - LIMAGRAIN EUROPE
L’intérêt phénoménal du métier, c’est sa dimension internationale, l’ouverture à l’Europe, à l’Ukraine et la Russie, au Maghreb, à la Turquie et au Japon. C’est très enrichissant et intéressant de constater la diversité des utilisations pour le maïs. Dans mon métier, je cherche à rendre service à l’agriculture. Mes parents sont issus du milieu agricole. C’est un métier exceptionnel, mais aujourd’hui mal considéré. Il faut se battre pour faire reconnaître ce qu’est une agriculture performante, au service d’une alimentation de qualité. Travailler dans le domaine de l’agriculture, au service de l’alimentation me plaît beaucoup. Il nous faut mieux expliquer comment elle fonctionne. L’essentiel de ce qui nous nourrit provient de l’agriculture. Nous devons réussir à le faire comprendre. L’agriculture est essentielle, dés lors que nous aspirons à une alimentation la meilleure possible. Les agriculteurs sont là pour nous nourrir, et ils ne pourront le faire qu’en fonction du prix que la société civile acceptera de payer.

Quelles sont vos « sources » pour l’amélioration des plantes ?

Nous faisons un travail de sélection sur la base de la diversité disponible dans le monde entier. Notre mission est de faire progresser la sélection. Depuis les années 50, avec les premiers hybrides, nous avons bien compris son potentiel. Notre objectif est de rendre le maïs cultivable et performant dans des contrées très différentes (Danemark, Espagne, Turquie, etc.). L’INRA a été très présent au début de la sélection variétale sur le maïs. Aujourd’hui, les sociétés semencières ont pris le relais, non sans fierté. Elles proposent du matériel spécifiquement adapté, en grain comme en fourrage, pour le nord comme pour le sud. Nous travaillons sur la diversité génétique pour augmenter le rendement grain, en prenant en considération les différences territoriales. Il faut résoudre les problèmes de maladies, par le choix de lignées plus tolérantes et plus adaptées en fonction des pays. Notre travail de développement est de ressentir « l’adaptabilité » et d’anticiper les maladies pour avoir des solutions génétiques, mais sans pénaliser le rendement. Il s’agit de combiner les exigences : le territoire, les maladies, le rendement. Nous sommes en capacité de faire progresser les lignées, d’en faire des nouvelles à partir de variétés commercialisées. Les sélectionneurs créent des lignées et des hybrides et nous inscrivons des hybrides chaque année dans de nombreux pays (50 à 100 variétés de maïs inscrites par an).

Que faites-vous pour les préserver et les régénérer ?

Nous conservons dans nos chambres froides notre matériel génétique. Nous pouvons ainsi faire appel à une lignée ayant déjà existée. S’il le faut, les semences sont régulièrement reproduites pour être renouvelées. Concernant les grandes variétés françaises de maïs ayant marqué l’histoire de la sélection, nous avons eu INRA 258, une variété des années 60 ; LG 11, le premier succès commercial de Limagrain dans les années 70 ; puis Déa dans les années 80 et dans les années 90, se sont Cécilia (maïs tardif) et ANJOU 285 qui font dates. En les comparant, nous voyons bien l’impact du sélectionneur et les progrès réalisés en quelques décennies, le développement foliaire et la position des feuilles en sont un bel exemple. Il s’agit d’améliorer l’exploitation du milieu par la plante, en particulier le rayonnement du soleil sur la surface foliaire. Depuis les années 2000, les critères de la recherche sont plus orientés vers l’environnement : la résistance à la sécheresse, la consommation d’azote, le desséchement de fin de cycle… Il nous faut donc des oreilles, des yeux… et des neurones, pour anticiper les besoins à venir, et pouvoir nourrir une population humaine en augmentation.

Qui peut les utiliser ? Sont-elles accessibles à tous ?

Elles sont accessibles à tous, dans le respect de la propriété intellectuelle. Le travail de sélection est compliqué, long, périlleux et coûteux. Chacun doit être propriétaire de ce qu’il crée, sinon la recherche ne serait plus un investissement et serait fortement pénalisée.

Comment identifiez-vous les attentes de la société ?

Notre métier c’est d’écouter les besoins des marchés, les objectifs des agriculteurs et d’y répondre. Tout le monde désire augmenter le rendement ; il faut aussi plus de tolérance à la sécheresse et aux maladies. Les variétés doivent être tolérantes ET productives. Le rendement doit progresser, en regard des contraintes et des exigences locales. La préoccupation environnementale a toujours été présente. L’agriculteur a le souci de semer et surtout de re-semer et de préserver le potentiel agricole de son sol. Le maïs est la grande culture qui nécessite le moins de traitements pendant son cycle végétatif. Les traitements fongicides sont presque inexistants. Pour l’insecticide, nous avons développé le « traitement de semence », qui permet de réduire considérablement la dose de produit phytosanitaire (nous passons de quelques kilos/ha à quelques grammes), pour un résultat équivalent, voire meilleur.

Citez-nous quelques exemples concrets d’amélioration végétale

Deux sortes d’amidon sont traditionnellement produits par le maïs, l’amylose et l’amylopectine. L’amylopectine permet la souplesse et le liant pour les sauces. Or l’industrie amidonnière qui sépare l’amylose de l’amylopectine est fortement consommatrice en eau. Nous avons donc créé des variétés WAXY qui produisent 100% d’amylopectine, et permette d’éviter ce processus polluant de séparation. Nous proposons aussi des variétés colorées : les italiens en sont friands pour obtenir une polenta orange, quand les portugais les utilisent pour donner de la couleur au jaune d’œuf ou pour faire des pains plus vifs. Nous travaillons aussi sur des amidons spécifiques pour le plastique biodégradable, qui remplaceront avantageusement les polymères issus de la pétrochimie. Ces amidons doivent être solides et se dégrader facilement.

Comment est financé ce travail de recherche ?

Nous finançons notre recherche (environ 15 stations en Europe et 300 personnes impliquées) à hauteur de 14% du chiffre d’affaires. La principale source de notre revenu provient des variétés que nous vendons. C’est à ce prix là que nous pouvons proposer des nouvelles variétés.

Quel est l'intérêt du « Certificat d'Obtention Végétale » ?

La préservation de la propriété du matériel ! Le matériel est ainsi déposé et identifié. Il est la garantie de l’appartenance. Le COV est la reconnaissance de la propriété. C’est ce qui nous permet de vendre nos variétés librement, sans risque. C’est un simple acte de propriété ! C’est ainsi que nous pouvons garantir un retour sur l’investissement que représente la recherche. Ce que fait un sélectionneur est identifié et reconnu, et mis à disposition des agriculteurs et/ou des autres sélectionneurs, pour une nouvelle création, dans le respect de cette propriété.
LG
MD
SM