La cuisine a ses raisons...

Hervé This, vous animez un séminaire de gastronomie moléculaire. De quoi s'agit-il ?

Peu connue du grand public, la gastronomie moléculaire est une science de la cuisine. Elle s'attache à percer les mystères physico-chimiques qui agitent le fond de nos casseroles. Pour Hervé This, chercheur à l'INRA et spécialiste reconnu en ce domaine, elle a vocation à rapprocher le monde de la cuisine et celui de la recherche agronomique.
Ce séminaire de gastronomie moléculaire se déroule au sein de l'Ecole supérieure de cuisine française. Il rassemble des cuisiniers, des scientifiques, notamment des chercheurs de l'Institut national de la recherche agronomique, des enseignants en cuisine, des ingénieurs… Nous travaillons sur des questions ouvertes relatives à la cuisson des aliments. Le cœur de notre activité consiste à tester scientifiquement des dictons culinaires bien connus. Par exemple, nous avons passé au grill de l'expérimentation le dicton selon lequel le blanchiment diminue l'âcreté des poireaux. Les résultats sont ensuite largement diffusés.

Il s'agit donc rapprocher le monde de la cuisine et celui de la recherche agronomique ?

Oui. Il me paraît indispensable de créer des liens entre ces univers éloignés. Les cuisiniers ignorent les recherches menées sur les produits agricoles qui constituent leur matière première. Et de leur côté, les chercheurs qui travaillent à la sélection de nouvelles variétés ne tiennent pas forcément compte de ce qui se passe en cuisine… parce qu’ils ne le savent pas ! En matière de fruits et légumes par exemple, l'aptitude à la transformation et la valeur gustative des produits frais est primordiale. Il faut que l'on puisse les cuisiner et que cela donne de bons résultats. De mon point de vue, c'est aussi cela qui doit guider la recherche. C'est pour cela que j'ai accepté de participer au comité scientifique de l'organisme officiel chargé de l'évaluation des nouvelles variétés végétales : le CTPS.

En quoi consiste votre rôle au sein de cet organisme ?

Je crois que je suis là pour poser des questions ! Pour voir ce qui se fait, apporter un regard neuf et mettre en avant l'ultime maillon des filières, souvent négligé, que constitue la cuisine. En ce qui concerne la sélection de nouvelles variétés, les chercheurs ont tendance à privilégier les exigences liées à la transformation industrielle des produits. Selon moi, la cuisine familiale n'est pas assez prise en compte alors qu'elle est loin d'être anecdotique. Savez-vous que les ventes de plats cuisinés ont reculé en France de 6 % en 3 ans ?

Pour prendre un exemple concret, pensez-vous que les nouvelles variétés de tomates apportent un plus pour les cuisiniers ?

Oui, aujourd'hui l'on trouve des tomates qui réservent d'excellentes surprises aux fourneaux ! Mais cela n'a pas toujours été le cas. Pendant longtemps la sélection a porté sur des critères liés à la production ou à la distribution comme une bonne tenue au transport. Délaissée, la qualité gustative s'est progressivement dégradée. Mais avec la mise en place d'un grand programme international Tomate, elle a été replacée au centre des travaux de recherche qui ont abouti à des résultats intéressants. Reste que, même avec des variétés intéressantes, les conditions de production déterminent très largement la qualité des produits : de bonnes pratiques culturales s’imposent… Le consommateur, toujours exigeant, voudrait en hiver, pour un prix très bas, des tomates et des fraises d'une qualité égale à celle des cultures de plein champ. En réalité, pour des produits de qualité, il faut accepter d’y mettre le prix.
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